Projet inter-niveaux
J’échangeais avec Vanessa d’Ayral de Sérignac, co-auteure de notre futur projet, sur l’expérience chorégraphique, immersive et interactive Entrez dans la danse qui a obtenu les soutiens en écriture et en développement du CNC, de la Région Sud (aide au développement), ainsi qu’une résidence accompagnée à L’Entre-Pont. Cette expérience s'inspire du fait réel selon lequel en 1518, la population de la ville de Strasbourg a été prise de folie dansante durant des semaines, ce qui a engendré la mort de centaines de personnes… C’est alors que nous nous sommes dit : Et si … et si la situation actuelle replongeait notre société dans une hystérie collective… Et si le stress provoqué par la situation sanitaire et tout ce qu’elle implique : contraintes liées au port du masque, distanciation sociale, divergences d’opinion sur les mesures prises, sur le vaccin, méfiance, peur… Si ce climat anxiogène emportait à nouveau la population au cœur d’une épidémie dansante? En enlevant le masque, la contamination est immédiate entre les corps. Le virus se propage, mais c’est d’une épidémie dansante qu’il s’agit. Les êtres se jettent dans la danse à corps perdus, et cette folie dansante résonne comme un cri, un exutoire pour se décharger de cette situation oppressante. Comme une soupape qui explose, on se libère du masque pour évacuer une pression si longtemps contenue. Le masque qui tombe est une porte qui s’ouvre pour laisser l’hystérie s’exprimer. La scène prend alors des allures de grand bal populaire, de dancefloor gigantesque. La situation dramatique est détournée avec légèreté. Cette vision en apparence joyeuse, cette sensation de gaité et d’abandon qui émane des danseurs permet de dédramatiser une sombre période. En apparence seulement… Pièce chorégraphique pour 45 danseurs Auteure et chorégraphe Eugénie Andrin Auteure et assistante à la mise en scène Vanessa d’Ayral de Sérignac Scénographe et concepteur lumière Laurent Castaingt Création musicale Clément Althaus Les danseurs La pièce repose sur un noyau de 5 danseurs professionnels : Sami Loviat Tapie, Marie-Pierre Genovese, Marius Fanaca, Jeanne Chossat, Maurin Bretagne. Associer le volet pédagogique à la création d’un spectacle semble indispensable. Cette démarche pédagogique de la compagnie a d’ailleurs été approuvée par l’obtention de l’agrément en octobre 2020. A 2 reprises en 2019 et 2020, Eugénie Andrin est intervenue dans le cadre de l’enseignement de spécialité danse du Lycée Apollinaire à Nice Le Théâtre de Grasse est la structure culturelle partenaire de l’enseignement de spécialité danse. Il accompagne les élèves dans leur pratique au cours d’ateliers menés au contact d’artistes programmés. Cet enseignement, à l’initiative du Lycée Apollinaire est financé par la DRAC et les élèves sont encadrés par leur professeur Sophie Martinez, responsable de l’option. Les récentes interventions pédagogiques d’Eugénie Andrin avec les élèves de l’option art-danse du Lycée Apollinaire l’ont amenée à envisager une collaboration avec eux, ayant apprécié leurs qualités artistiques et l’enthousiasme qu’ils mettaient à suivre le travail proposé par la chorégraphe. La conscience de leur corps, leur mouvement « instinctif » et leur intention toujours juste, font la force de ces élèves. C’est pourquoi elle a trouvé en eux les interprètes-artistes idéaux pour incarner ces gens pris de folie, devenus danseurs par la force des choses. D’un point de vue artistique, cette collaboration avec 20 élèves de l’option art-danse du lycée Apollinaire est donc un atout indéniable pour le spectacle. 5 interventions sont prévues entre octobre et novembre 2021. 20 élèves de l’option danse et théâtre du Lycée Audiberti à Antibes viennent compléter la distribution. Des interventions sont programmées dès le mois de mai 2021, et ce projet d’éducation artistique et culturelle sera intégré à leur cursus. Du point de vue pédagogique, ce projet représente une expérience intéressante : au delà des interventions pédagogiques prévues, et de leur aboutissement (une date de spectacle programmée dans un grand théâtre), c’est aussi la rencontre entre les élèves de 2 lycées différents, et l’apport que peut constituer le travail auprès de danseurs professionnels venus d’horizons divers (danse contemporaine, hip hop, classique). Anthéa et la Ville d’Antibes étant de longue date, des partenaires solides de la compagnie, il semblait nécessaire d’inscrire le projet sur son territoire, à travers cette collaboration avec les élèves d’Antibes. Cela ouvre d’ailleurs certaines perspectives, car d’autres collaborations pourront être envisagées sur d’autres territoires qui programmeraient le spectacle. Ainsi associé à la pièce, le projet pédagogique adressé aux écoles d’une localité serait un complément et un atout intéressant en vue d’une diffusion à plus grande échelle.
En scène une table dressée avec 2 verres et une bouteille de vin. Une jeune femme seule en scène se prépare en attendant son amoureux. Elle écoute de la musique à la radio. Une anecdote mentionne l’épidémie de fou rire qui a secoué la Tanzanie en 1960. Partie d'un pensionnat de jeunes filles, l'hilarité s’est propagée à travers le pays pendant 6 mois. Cela l’interpelle. La musique reprend. Son amoureux entre en scène, comme s’il rentrait chez lui, il étreint son amoureuse. Ils discutent de leur journée et prennent l’apéritif sur une musique décontractée. Tout à coup les nouvelles se font entendre, l’homme change la station pour retrouver de la musique. A nouveau, on entend des informations, il remet de la musique… Les phases musique-infos sont de plus en plus rapprochées et changent alors même qu’ils ne zappent plus. Cette situation sépare le couple progressivement. Accumulation de mauvaises nouvelles sous forme de flashes (réchauffement climatique, terrorisme, pauvreté, épidémie…) jusqu’à ce que l’on entende une alarme et le signal comme dans l’avion lors de la chute des masques à oxygène « Breathe ! breathe ! » hurlé par des haut-parleurs anxiogènes. Les masques (chirurgicaux) tombent du plafond. Ils les mettent. Le port des masques ralentit leurs mouvements, leurs gestes sont empêchés. Ils veulent se toucher mais la distanciation sociale les sépare. Ils sont comme des aimants dont on rapproche les côtés négatifs, un geste va repousser l’autre au lieu de l’atteindre. Au départ, leurs mouvements amoureux allaient l’un vers l’autre, maintenant, c’est une danse l’un avec l’autre qu’ils exécutent comme des soldats. Ensemble mais pas « ensemble ». Le masque amoindrissant leur sens, on entend au loin, comme dans une pièce éloignée, le son de la télévision, étouffé, comme sous l’eau, ponctué par des bruitages de guerre, des mitraillettes, des militaires qui marchent au pas, des aboiements, des pleurs d’enfants… Puis l’homme commence à enlever légèrement son masque. C’est un masque travaillé de façon à pouvoir être étiré à l’extrême. Il passe sa main dedans comme s’il voulait sortir de cette prison. Il joue avec le masque l’enlevant et le remettant, l’étirant en dansant. Lorsque le masque se décolle du visage, les bruitages de violence au loin sont alors entrecoupés de bribes de musique classique très nettes et très fortes, comme des respirations. Le garçon finit par enlever son masque totalement. Il danse librement sur la musique classique très forte maintenant. La fille est immobile, elle le regarde tétanisée sous son masque. L’homme s’approche alors doucement de la fille, il prend une grande bouffée d’air, soulève le masque de la fille et l’embrasse pour lui donner de l’oxygène, comme un bouche à bouche, il lui redonne de la vie. Ils s’écartent l’un de l’autre. La fille prend une grande respiration et ils partent dans la danse. Duo en contact l’un avec l’autre. Jeu de contrepoids, légères suspensions, mélange des corps tout en fluidité.
2 accessoiristes sortent de coulisse pour enlever le canapé et les accessoires en scène. L’un des deux, attiré par la liberté des protagonistes reste en bord de coulisse pour les regarder, il enlève son masque et entre dans la danse. D’abord seul, sur place pour lui même, il bouge en micro-mouvements, puis le couple de danseurs s’approche de lui et le happe dans leur danse-contact qui est désormais un trio.
L’autre accessoiriste ne voyant pas son collègue revenir entre en scène. Etonnée, elle se rapproche du trio dont les corps effectuent un mouvement fluide tout en contact, portés et suspensions. Les corps emmêlés passent à travers elle. Elle reste immobile, et on la voit toujours en place une première fois, son masque bien fixé sur son visage. Au 2nd passage, le masque a glissé sous le nez. Le troisième passage du trio de corps emmêlés emporte la femme dont le masque tombe au sol.
Une ouvreuse du théâtre, sidérée devant le spectacle de ces personnes sans masque, craignant pour leur santé et la sienne, tente à tout prix de leur mettre un masque. De nombreux masques émergent de son costume de ses poches, de sa taille, de sa poitrine, elle en sort des dizaines qu’elle ne parvient pas à mettre sur les danseurs. Ces derniers commencent à lui enlever le masque pour qu’elle se joigne à eux. Elle se débat, ne veut pas. Elle a peur. Ils y parviennent cependant et l’entraînent avec eux.
Une adolescente au 1er rang dans le public se lève, monte sur la scène, laisse tomber son masque et se joint aux autres en dansant. Une autre personne du public suit ce même chemin. Mais lorsqu’elle est sur le point de rejoindre la scène, son conjoint qui était assis dans la salle à côté d’elle tente de l’en empêcher. Duo d’opposition : l’homme veut à tout prix arrêter l’élan de sa femme. Avec acharnement, il la remet en arrière par portés, glissés. Ne prêtant aucune attention aux agissements de l’homme, elle est captivée, hypnotisée par la danse, comme un insecte attiré par la lumière. Craignant pour elle, il lui remet son masque qu’elle enlève aussitôt, il crie, se met en travers de sa route pour que l’être aimé ne soit pas contaminé par l’épidémie dansante. Elle se met à danser doucement. Il met sa main sur sa bouche comme un bâillon ce qui l’arrête un instant mais dès qu’elle s’en libère, elle se remet à danser et sous le regard de l’homme impuissant, le groupe l’entraîne dans sa folle farandole.
Sans lui prêter aucune attention, 5 jeunes danseurs courent de la coulisse en scène avec fougue et joie. L’homme complètement dépassé sort de scène. Les jeunes danseurs jettent leur masque en l‘air et se mettent à danser. D’abord entre eux puis ils se mêlent aux autres.
2 autres personnes coup sur coup quittent le public pour se livrer à la danse. L’homme qui a dû renoncer à empêcher sa femme de danser revient. Entretemps, il est allé chercher de l’aide. Il est maintenant accompagné d’une petite « armée » de personnes vêtues de combinaisons de protections noires qui entrent par l’entrée de la salle de spectacle. Ils vont tenter d’empêcher les danseurs de danser. Rejoints par 2 autres qui étaient assis dans le public, c’est une lutte maintenant qui se déroule sous nos yeux entre ceux, masque sur le visage qui essaient d’étouffer la danse et les autres à visage découvert qui continuent à danser inlassablement. Les combinaisons se déchirent et s’arrachent découvrant dessous des vêtements colorés. On a une suspension dans la musique, un moment de répit durant lequel le temps semble s’arrêter, une respiration dans le mouvement où le couple amoureux du début se retrouve au milieu du chaos. Autour, les mouvements sont empêchés, les corps sont bloqués, mais malgré le carcan imposé, le geste parvient toujours à émerger en secousses nerveuses, toutes petites au départ puis de plus en plus amples au fur et à mesure jusqu’à se libérer complètement de l’étreinte imposée par les hommes et les femmes masqués. Suite à cette libération les êtres dansants encerclent les personnes masquées. Leur crainte, leur peur est ressentie, lorsqu’ils resserrent leur étau sur eux, jusqu’à l’absorption complète de leur corps. Les 20 danseurs ne forment plus qu’un seul amas de corps enchevêtrés. La musique est distendue jusqu’à devenir dissonante.
Les corps se détachent lentement. Tous ensemble, ils forment alors une farandole gigantesque, un serpent qui grandit au fur et à mesure qu’il happe dans son élan les danseurs en proie à leur pulsion.