"La vie n’est pas ce que l’on a vécu, mais ce dont on se souvient et comment on s’en souvient"
Vivre pour la raconter, Gabriel Garcia Màrquez
À Coline, Eliott, Élise, Roxane, Léo, Julia, Alicia, Alex, Aaron et tous les enfants à venir.
Racontez cette histoire à tous nos petits, et n’oubliez jamais, au grand jamais, d’y mettre le ton!
Ma grand mère s’appelle Libertad Martinez.
Nous étions toutes les deux autour de la table du salon, un samedi, nous attendions des nouvelles de mon grand père, nous étions inquiètes. J’ai sorti mon téléphone, téléchargé une application d’enregistrement vocal et je lui ai demandé de me raconter son histoire et celle de pépé. De mon beau rossignol. Elle a sorti les quatre énormes albums photos, tout y était mélangé, un peu comme son récit.
Entre les coups de téléphone de la famille qui venait aux nouvelles cet après-midi là, voilà tout ce qu’elle a bien voulu me raconter.
Ce sont ses mots.
Entre la guerre d’Espagne et la guerre d’Algérie, on en a bavé.
Moi j’en ai bavé en Espagne.
Mes parents sont partis d’Espagne car en 39 c’était la guerre là bas.
Tallandier/Rue des Archives
A leur arrivée à la frontière pyrénéenne, le 10 février 1939, les soldats républicains doivent abandonner leurs armes.
https://www.lhistoire.fr/guerre-despagne
Le bronze Narón 2003
est inspiré quant à lui d’une photographie illustrant deux indépendantistes attaquant la statue de Franco érigée dans son village natal.
J’habitais dans la maison avec ma grand-mère et mon père, j’étais toujours avec ma grand-mère.
Un jour, mon père lui dit
— Écoute, on doit partir.
Il était trésorier du Parti socialiste. Il avait fait des passeports pour partir au Mexique. Sur son passeport, il y avait son nom et celui de mon frère. Sur celui de ma mère, il a mis les noms de ma petite sœur et le mien. Ma mère attendait un bébé, elle était enceinte de 8 mois passés.
Au moment de partir mon père a dit à ma grand-mère
— Si tu veux garder la petite, prend la, parce qu’elle est toujours avec toi et de toute façon on va bientôt revenir.
J’avais pas cinq ans encore et ma grand-mère lui a dit
— Laisse la petite.
C’est qu’ils n’avaient pas l’argent pour le voyage.
Il s’est passé onze ans sans que je les revois.
Affiche proposée par C. Fontseré à la FAI de Barcelone durant l'été 36, en réaction aux trop nombreuses affiches UGT et communistes. Cette affiche fût une des plus célèbre de la guerre d'Espagne. Elle fût reprise sur de nombreux autres supports (cartes postale,
timbre). Une seule signature : FAI. Un drapeau rouge et noir en fond, mais le paysan porte un foulard rouge et non rouge et noir. Suivant le support de légères différences existent notamment concernant la couleur de la chemise blanche avec des reflets argentés ou bleu. L'affiche existe en deux versions : une en catalan et une autre en castillan.
En février 1936, une coalition des partis de gauche remporte les élections en Espagne et accède au pouvoir. Le gouvernement républicain qui en découle se heurte à l’opposition des courants politiques de droite et d’extrême droite. Une insurrection militaire dirigée par le général Franco plonge l’Espagne dans la guerre civile. En avril 1939, la guerre civile se termine par la défaite du camp républicain. Des centaines de milliers d’Espagnols sont contraints de quitter leur pays. À partir de 1939, à la fin de la guerre civile espagnole et la défaite des républicains, de nombreuses personnes, républicaines pour la plupart, ont quitté l'Espagne franquiste dans une vague d'émigration qu'on a appelée Retirada (retraite en espagnol et catalan), exil ou exode républicain. Les destinations ont été variées, mais c'est la France qui a été la plus choisie, les trois autres grands pays d'exil ou de refuge étant le Royaume-Uni, le Mexique et l'URSS ; dans une moindre mesure certaines destinations comme le Chili, l'Argentine et Cuba. Dès les mois de février et mars 1939, des télégrammes sont échangés entre le gouverneur général de l’Algérie (GGA), le général commandant la division d’Alger, les préfets et sous-préfets qui annoncent l’arrivée sur le territoire algérien de réfugiés espagnols (RFE). Ces émigrés espagnols utilisent différents moyens de transport pour arriver en Algérie : des petites embarcations de pêche, des chalutiers, des goélettes ; ils embarquent aussi sur des cargos de ligne qui transitent par l’Algérie.
Les immigrés espagnols dans les camps en Algérie (1939-1941) Kamel Kateb Dans Annales de démographie historique 2007/1 (n° 113), pages 155 à 175
https://www.cairn.info/revue-annales-de-demographie-historique-2007-1
Ils ont pris un bateau anglais. Ils ont séparé les couples quand ils sont partis d’Espagne. Et à moitié de chemin on a dit à ma mère
— Madame vous êtes au point d’accoucher si vous accouchez dans le bateau, la petite c’est une Anglaise ou alors on vous débarque à Alger.
Et c’est pour ça qu’ils ont atterri à Alger alors qu’ils partaient pour le Mexique.
C’étaient des réfugiés politiques.
Ma mère a débarqué, ils l’ont mise à l’hôpital et après l’hôpital ils l’ont envoyée dans un camp d’internement.
Mon père d’un côté avec les hommes et les femmes avec les enfants de l’autre côté.
Ma mère c’était une femme qui savait tout faire. Elle s’est retrouvée toute seule avec deux petits et celui qui venait de naître,
— Comment les faire manger?
Elle savait coudre, elle ne savait pas lire ni écrire mais enfin elle s’est débrouillée et elle a sorti ses petits de là-bas.
Elle est sortie du camp de concentration avant mon père et ils l’ont envoyée à Blida. À Blida, ils lui ont donné une villa, une villa vide. Elle n’avait rien du tout mais au moins elle avait un toit, la pauvre. Et par les uns et par les autres on lui a apporté un matelas, l’autre apportait un autre truc.
Et elle a fait son petit cocon là-dedans.
https://www.persee.fr/doc/homig_1142-852x_1992_num_1158_1_1894
Dès le 31 mars 1939, une lettre du GGA au ministre de l’Intérieur l’informe que le total des réfugiés espagnols en Algérie s’élève à 5 100 personnes, auxquelles il faudrait ajouter un nombre indéterminé d’individus arrivés individuellement et hébergés par leurs familles…. Parmi les premiers, 400 ont embarqué sur un pétrolier (le Campillo), 723 sur des bâtiments espagnols, 2 731 sur des bâtiments de commerce français ou anglais, 250 sur 9 petits chalutiers et plus de 413 sur 4 chalutiers de plus gros tonnage, etc.… Au 10 juin 1939, les estimations du GGA sont de l’ordre de 5 300 (le département d’Oran compte 2 140 réfugiés espagnols : 1 840 dans les camps, les autres chez des particuliers ; le département d’Alger 3 160). À leur arrivée, ils disposent tous de passeports délivrés par l’administration républicaine avec des visas à destination du Mexique, de Cuba ou du Nicaragua. Les concernés « avouent » que ce sont les seuls passeports qu’ils pouvaient avoir pour quitter l’Espagne (lettre du 19 mars) et qu’ils ne pouvaient obtenir du consulat de France qu’un visa de transit.
Leur seul objectif était finalement de quitter l’Espagne devenue inhospitalière pour eux. A priori ils n’avaient nullement l’intention de se rendre en Amérique latine.
Comme dans tout épisode de guerre civile, le flot de personnes contraintes de fuir leur pays n’est pas constitué que de miséreux : un grand nombre d’entre eux ont les moyens de vivre sans aide extérieure. Certains réfugiés possèdent de la monnaie espagnole mais aussi des devises étrangères (pesetas en billets, livres et dollars, de l’or et de l’argent). Les préfets demandent au GGA d’autoriser une banque à faire le change en monnaie locale Parmi les réfugiés, s’il y a des riches et des pauvres, il y a aussi une grande diversité de catégories professionnelles et de niveaux d’instruction. La lettre du préfet d’Oran datée du 26 juillet 1939 donne la liste des réfugiés espagnols ayant des activités qualifiées d’intellectuelles.
Centre n°1 : 7 officiers, 2 médecins, 1 interne, 1 pharmacien, 3 avocats, 3 professeurs, 4 instituteurs, 3 ingénieurs, 3 journalistes, 1 écrivain, 1 étudiant, 2 fonctionnaires. Parmi les femmes, 3 sont institutrices, 4 étudiantes, 3 professeurs, 1 artiste et 1 fonctionnaire.Centre n° 2 : 23 officiers, 12 ingénieurs, 25 agents de santé publique, 51 enseignants, 6 journalistes, 18 fonctionnaires de justice, 64 ont des professions diverses.
Dans le camp Morand (Médéa) où ont été regroupés les membres de l’armée républicaine, sur la liste nominative sont mentionnés le grade et la profession antérieure à l’intégration dans l’armée La majorité des soldats, officiers et sous-officiers étaient des agriculteurs ou des ouvriers de l’industrie. Il y avait parmi eux 3 médecins, 4 pharmaciens, 7 avocats, 14 artistes et écrivains, 5 ingénieurs, 29 enseignants du primaire ou du secondaire et 48 étudiants. Plusieurs personnes ont déclaré comme profession antérieure « industrielle », sans plus de détails.
Les immigrés espagnols dans les camps en Algérie (1939-1941) Kamel Kateb Dans Annales de démographie historique 2007/1 (n° 113), pages 155 à 175
https://www.cairn.info/revue-annales-de-demographie-historique-2007-1
Ensuite ils ont relâché mon père.
Il est devenu homme de ménage à côté à l'aviation civile donc on lui donnait à manger là-bas. Quand on lui donnait un bout de pain il le mettait dans la poche et le soir il ramenait ça à la maison.
C'était un militaire de carrière et il voulait louer comme on le faisait avant, un bout de terre avec son statut de militaire. Ils ont donc réussi à louer un petit deux pièces avec une petite cuisine et une petite cour. Maman, ma mère, elle était heureuse comme tout, c’était petit, mais c’était chez eux. Je crois qu’ils sont restés bien un an ou deux ans.
Et ils sont restés là-bas.
Fleet Air Arm Museum de Yeovill
https://blidanostalgie.pagesperso-orange.fr/armee/AVIATION/avions-ba140
Janvier 1933 : Adolf Hitler est nommé chancelier d’Allemagne
Février 1936 : victoire du Frente Popular aux élections législatives espagnoles
Mai 1936 à avril 1938 : en France, gouvernement du Front Populaire
17 juillet 1936 : début de la guerre d’Espagne
Juillet-août 1936 : Hitler commence à envoyer en Espagne les milliers d’hommes, les chars, les canons et les avions de la légion Condor
1936-1939 : Mussolini envoie près de 50 000 hommes, 700 avions et 950 chars combattre aux côtés de Franco
Été 1936 : les gouvernements français et britannique décident de ne pas intervenir en Espagne
Octobre 1936 : naissance des Brigades Internationales, destinées à aider les troupes républicaines
Novembre 1936 : bombardements de Madrid
26 avril 1937 : bombardement allemand sur Guernica
Mars 1938 : bombardements italiens sur Barcelone
Mars 1939 : chute de Madrid, victoire de Franco
Avril 1939 : fin de la guerre d’Espagne
3 septembre 1939 : début de la Seconde Guerre mondiale
https://marthagraham.org/portfolio-items/steps-in-the-street-1936/“Steps in the Street”
Premiered at the Guild Theater in New York City on December 20, 1936 as one section of a larger work, Chronicle. The dance was a response to the menace of fascism in Europe. Earlier that year, Graham had refused an invitation to take part in the 1936 Olympic Games in Germany, stating: “I would find it impossible to dance in Germany at the present time. So many artists whom I respect and admire have been persecuted, have been deprived of the right to work for ridiculous and unsatisfactory reasons, that I should consider it impossible to identify myself, by accepting the invitation, with the regime that has made such things possible. In addition, some of my concert group would not be welcomed in Germany” (a reference to the fact that many members of her group were Jewish). “Steps in the Street”, subtitled “Devastation – Homelessness – Exile”, depicts the isolation and desolation that war leaves in its wake.
Guernica, Picasso, 1937
https://marthagraham.org/portfolio-items/lamentation-1930/
Lamentation premiered in New York City on January 8, 1930, at Maxine Elliot’s Theater, to music by the Hungarian composer Zoltán Kodály. The dance is performed almost entirely from a seated position, with the dancer encased in a tube of purple jersey. The diagonals and tensions formed by the dancer’s body struggling within the material create a moving sculpture, a portrait which presents the very essence of grief. The figure in this dance is neither human nor animal, neither male nor female: it is grief itself.
According to Martha Graham, after one performance of the work she was visited by a woman in the audience who had recently seen her child killed in an accident. Viewing Lamentation enabled her to grieve, as she realized that “grief was a dignified and valid emotion and that I could yield to it without shame.”
https://www.numeridanse.tv/videotheque-danse/la-table-verte
Créé le 3 juillet 1932 au Théâtre des Champs-Élysées à Paris, La Table verte de Kurt Jooss (1901-1979) reste le plus célèbre ballet du courant expressionniste allemand qui s'est épanoui dans la première moitié du xxe siècle. Fondateur à Essen d'une école où l'on enseigne plusieurs disciplines pour parvenir à un mode d'expression synthétique, Jooss dénonce, dans son chef-d'œuvre chorégraphique, l'absurdité et les horreurs de la guerre à travers une suite de tableaux sarcastiques ou dramatiques, inspirés notamment par les danses macabres médiévales. Pièce qui préfigure la montée du nazisme, La Table verte (musique de Fritz Cohen) s'inscrit dans un courant qui rassemble des artistes aussi divers que Mary Wigman, Valeska Gert ou Harald Kreutzberg. Solos à l'expressivité parfois outrée et danses d'ensembles fortement structurées sont représentatifs de ce mouvement créatif. La Table verte est aussi la pierre angulaire du théâtre dansé (en allemand tanztheater), un genre plus que jamais à l'honneur aujourd'hui, à travers le travail d'artistes comme Pina Bausch.Source : Jean-Claude DIÉNIS, « LA TABLE VERTE (K. Jooss) », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 15 janvier 2014. URL : http://www.universalis.fr/encyclopedie/la-table-verte/
Et moi, je suis restée avec la grand-mère en Espagne.
Ma grand-mère n’était pas couturière comme ma mère. Mon grand-père était aux chemins de fer.
Título: Albacete, calle de San Agustín. Editorial: [S.l.] : Ediciones Kiosco del Paseo de Alfonso XII, 1925. Descripción física: 1 fot., b/n (coloreada) (tarjeta postal); 9x14 cm. Notas: Circulada en 1925. Signatura: POS 3599
Au tout début, lorsqu’ils étaient jeunes, mes grands parents en Espagne avaient fait un prêt et acheté une petite maison. C’est là que je suis née et quelques temps après ils ont réussi à payer le prêt, ils en ont refait un autre pour un terrain mieux placé. Ils s’achètent le terrain mais ils n’avaient pas assez d’argent pour construire le haut de la maison. Il a fait 3 chambres et une salle à manger. Il y avait la chambre des grands-parents, la chambre de mon père et mon oncle et la chambre de l’autre tante que j’avais et il y avait la cuisine au fond.
Je te dis ces histoires parce que c’est ma grand-mère qui m’a racontée tout ça. Mes grands parents ont alors décidé de finir le haut de la maison et donc de refaire un prêt mais pendant ce temps-là, le grand-père, il a acheté du carrelage, du ciment tout ce qu’il pouvait trouver pour avoir moins cher à payer après.
Il était garde barrière mon grand père.
Un jour qu’il ouvrait la barrière, il y a un Monsieur avec sa charrette et son cheval qui ont traversés la voie mais de l’autre côté, ils n’ont pas annoncé à mon grand-père qu’il fallait fermer car il y avait un train qui passait.
Le train a emporté la charrette et le cheval, et encore le bonhomme, le propriétaire, il a eu le temps de s’en aller et d’échapper à la collision mais mon grand père n’a pas pu supporter l’accident, il en est tombé malade.
Il n’avait pas pu supporter qu’il y ait une erreur même si c’était pas de sa faute. Ma grand-mère a arrêté le crédit qu’ils avaient pris, et le haut de la maison est resté sans être fait.
C’était une grande maison.
Cartel Feria Albacete 1930
Ce soir, 30 décembre 1937
En 1937, l'écrivain Ernest Hemingway part couvrir la guerre d'Espagne pour la presse américaine. De retour à Paris, il raconte sa vision du conflit à un journaliste de Ce soir, venu l'interviewer : « Le grand écrivain américain nous raconte ce que fut la victoire de Teruel. »
« Blessé en rentrant à Teruel, un soldat républicain est emmené au poste de secours par un camarade », Ce soir, 30 décembre 1937 - Source : RetroNews-BnF
Ernest Hemingway, Pour qui sonne le glas.
Maria raconte à Robert Jordan ce qui lui était arrivé quand les Franquistes ont exécuté les Républicain de son village. Son père, le maire du village, et sa mère tous les deux Républicains, ont été fusillés par les Franquistes. Elle raconte ce qui suit leur mort.
"[...] Nous étions attachées par les poignets, une longue file de jeunes filles et de femmes, et ils nous poussaient sur la colline, à travers les rues, jusqu'à la place. Sur la place, ils se sont arrêtés devant une boutique de coiffeur qui était en face de l'hôtel de ville. Là, les deux hommes nous ont regardées et l'un a dit : " celle-là, c'est la fille du maire " et l'autre a dit : " commence par elle. " Alors ils ont coupés la corde de chaque côté de mes poignets et l'un a dit : " refermez la ligne ". Ces deux là m'ont prise par les bras et m'ont fait entrer dans la boutique du coiffeur, et ils m'ont soulevée pour me mettre dans le fauteuil et ils m' y ont maintenue. Je voyais ma figure dans le miroir, et la figure de ceux qui me tenaient, et la figure des trois autres qui se penchaient sur moi, et je ne les connaissais pas. Dans la glace, je me voyais et je les voyais aussi, mais eux ne voyaient que moi. J'avais l'impression d'être dans un fauteuil de dentiste et qu'il y avait plusieurs dentistes, tous fous. Ma figure, c'est à peine si je la reconnaissais à cause du chagrin qui l'a changeait, mais je la regardais et je savais que c'était moi. Mais j'avais tellement de chagrin que je n'avais pas peur, je ne sentais rien d'autre que mon chagrin. Dans ce temps là j'avais deux nattes, j'ai vu dans la glace qu'un homme levait une des nattes et il l'a tirée si fort que ça m'a fait mal, tout d'un coup, à travers mon chagrin, et il l'a coupée tout près de la tête avec un rasoir. Et je me voyais avec une seule natte et une touffe de cheveux à la place de l'autre. Et puis il a coupé l'autre natte mais sans la tirer, et le rasoir m'a fait une petite entaille à l'oreille, et j'ai vu le sang qui coulait. [...] Donc, il avait coupé les deux nattes tout près de ma tête avec un rasoir, et les autres riaient, et je ne sentais même pas cette coupure à l'oreille, et alors il est venu devant moi et il m'a frappée à travers la figure avec les nattes, pendant que les autres me tenaient, et il disait : " c'est comme ça qu'on fait des nonnes rouges. Ça t'apprendra à t'unir avec tes frères prolétaires. Epouse du Christ Rouge ! " Et il m'a giflée encore et encore avec ces deux nattes qui avaient été à moi, et puis il me les a mises toutes les deux dans la bouche et les a nouées serrées autour de mon cou pour faire un bâillon et les deux qui me tenaient riaient. Alors, celui qui m'avait frappée m'a passé une tondeuse sur tout le crâne ; d'abord depuis le front jusqu'à la nuque, puis en travers sur toute la tête et derrière les oreilles, et ils me tenaient de façon à ce que je voyais, et je pleurais et je pleurais, mais je ne pouvais pas détourner les yeux de l'horreur de ma figure, avec le bouche ouverte et les nattes qui en sortaient, et ma tête qui sortait nue de sous le tondeuse. Et quand il a eu fini, il a pris le flacon d'iode sur l'étagère du coiffeur, ils avaient tué le coiffeur aussi, parce qu'il faisait partie d'un syndicat ; il était étendu devant la porte de la boutique, et ils me l'avaient fait enjamber quand ils m'avaient amenée là, et alors, avec le pinceau du flacon de teinture d'iode, en dessinant les lettres lentement et soigneusement comme un artiste, et je voyais tout cela dans la glace et je ne pleurais plus parce que mon cœur était de nouveau glacé à cause de mon père et de ma mère, et ce qui m'arrivait maintenant n'était rien, et je le savais."
Ernest Hemingway, Pour qui sonne le glas.
https://tpe-l-espagne.skyrock.com/2257511847-Etude-d-un-passage-de-Pour-qui-sonne-le-glas.html
https://masdearte.com/especiales/oscar-seco/
Óscar Seco. Spanish Civil War. Art, 2006
Nous sommes rentrées à la maison. En arrivant elle me dit
— Tu sais ma petite-fille et bien je vais t’apprendre ce que je sais moi.
— Si tu veux.
Moi j’étais toujours bien, j’étais toujours d’accord. Elle m’a achetée un livre, je me rappellerai toujours le livre de lecture et les tables de multiplications. Bref le premier livre d’apprentissage et tous les matins, elle me faisait un petit peu et l’après-midi un petit peu. Ça a duré quinze jours le temps d’apprendre mes premières lettres. Je connaissais tout mon alphabet. Elle me cachait les lettres pour savoir si je me trompais.
Un jour elle me dit
— Maintenant, on va marier les lettres.
Ça veut dire qu’on va les coupler, alors on a commencé à marier les lettres pendant un mois, un mois et demi, après j’arrivais presque à lire correctement et je savais compter, je savais multiplier. Elle n’arrivait pas à me faire faire les divisions. Elle me disait
—Il faut lire
Mais on n’avait pas de livre, on avait rien du tout. Il n’y avait pas de livre à la maison. Et je tombe sur un article de journal sur Paris. Je commence à lire à lire à lire et là je lis, les mots «La tombe du soldat inconnu».
Je demande à ma grand-mère de qui l’article parle, et je ne comprends pas.
Je dîne et je demande pourquoi le soldat inconnu? Alors ma grand-mère me dit.
— Et bien, je sais pas pourquoi il est inconnu.
Ça m’a tracassée tu ne peux pas savoir. J’ai su la vérité quand je suis arrivée en Algérie que j’ai posé la question. Je ne sais pas à qui, et quelqu’un qui m’a répondu, je ne sais pas si c’est mon frère,
— La tombe du soldat inconnu. On l’a faite parce que il y a des restes de plusieurs milliers de militaires donc on peut pas savoir lequel c’est.
Et jusqu’à seize ans, je ne savais pas ce que c’était. C’est ma grand-mère qui m’a appris à lire et à écrire un petit peu.
Oscar Seco
Tony Vidal, 19 juillet 1936
Aspecto que Ofrecía la plaza de Toros de Albacete durante la celebración del Mítin organizado por las Juventudes Socialistas Unificadas, al cual Acudieron Todas las Secciones de la Provincia. 01-09-36
Au cours de la Guerre civile espagnole Albacete fut le quartier général des Brigades internationales et de la Force aérienne républicaine, et à ce titre fut bombardée par la Légion Condor en février 1937. En février 1939, les Républicains s'en retirèrent vers Carthagène avant que les troupes de Franco n'arrivent.
Jose Luis de Arrese en Albacete. La Vieja Guardia. 1939
Je devais avoir treize, quatorze ans. Ma tante me dit
— Tu vas aller prendre des cours le soir. Une heure.
Mais il fallait payer, j’y suis allée une fois, deux fois, trois fois, le maître était content parce que je pigeais vite. Il était content et j’avais tous les petits copains tous ceux qui avaient des sous.
Un jour ma tante me dit
— Ce soir, tu ne vas pas à l’école parce que j’ai besoin de toi.
Bon, ça va, j’y vais pas et le lendemain soir, j’y vais pas non plus. Mais moi, fainéante comme j’étais, je ne cherche pas à savoir pourquoi.
Un soir, le maître vient voir ma tante et lui demande
— Pourquoi vous la laissez pas venir à l’école?
Il voulait savoir si c’est moi qui faisait l’école buissonnière où si c’était ma tante qui m’empêchait d’y aller.
— Parce que j’avais besoin d’elle.
— Mais enfin madame, c’est qu’une heure le soir, laissez la venir!
— Non non non non non, j’ai besoin d’elle.
Elle ne savait plus comment s’en sortir la pauvre. A la fin il l’a tellement taquinée qu’elle lui a dit
— Écoutez monsieur, j’ai pas d’argent, je ne peux pas payer
Lui, il aurait pu être charmant et dire tant pis, un mois, un mois et demi, ça fait rien, qu’elle vienne et qu’elle apprenne mais non. Merci, et il est parti.
Ma tante avait quatre enfants et mon oncle qui n’avait pas de travail et ma grand-mère qui meurt, j’avais treize ans.
Affiches de propagande; Le Parti socialiste unifié de Catalogne est né en juillet 1936, quelques jours après le coup d’État de Franco, en tant que fusion des socialistes et des communistes. Il dirigeait également l’Union générale des travailleurs (UGT). Voici quelques unes de leurs affiches durant la guerre d’Espagne.
https://agauche.org/2018/03/10/guerre-despagne-affiches-du-psuc-et-de-lugt/
Femme soldat à Madrid en 1936 par Burnett Bolloten, correspondant de United Press en Espagne pendant la guerre civile de 1934 à 1939
On n’avait pas à manger, on ne mangeait pas, on n’avait pas.
Un soir, on s’est couchée et le lendemain matin, je me lève et je lui ai dit à ma tante.
— Mémé elle ne se réveille pas, elle ne se lève pas.
— Comment elle se lève pas?
— Non non elle ne parle pas, elle ne se lève pas, ma tante.
Ma tante est venue dans la chambre et elle était décédée.
Donc elle est décédée à côté de moi, elle est morte de faim oui, elle est morte de faim.
Elle s’est complètement amaigrie. Et moi, je me suis réveillée et elle était morte à côté de moi.
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Joan Miró, Help Spain, 1937, Museum of Modern Art, New York
Ce soir, 21 mars 1938 (affiche)
« Le martyre de Barcelone » : le reportage photographique du journal couvre le bombardement de la ville par les nationalistes, entre les 16 et 18 mars.
Quand elle est décédée je vois mon oncle et ma tante qui commencent à vider la chambre, à sortir le lit, à sortir le matelas. Alors là, j’ai dit à mon oncle
— Écoute voilà ce que m’avait dit la grand-mère.
— Ne t’en fais pas, de toutes les façons cet argent là n’a plus de valeur. Ils ont déjà changé de monnaie, ça va aller, on va le sortir et on va le détruire.
Et c’est ce qu’ils ont fait, ils ont brûlé cet argent.
Ma grand-mère est décédée. J’avais 13 ans.
Mes parents étaient là-bas en Algérie. Je n’avais pas de nouvelles parce qu’il y avait les franquistes. On avait un voisin franquiste à côté qui prenait le courrier de la grand-mère. On est resté des années et des années sans rien savoir. On a vu une lettre ou deux parce que ma cousine avait eu une lettre de mon frère.
Agosto Polaco por Rómulo-Antonio Tenés (Ontur, Albacete 1944)
Et je me félicite d’avoir la mémoire que j’ai parce que tous les détails que ma grand-mère me disait tous les détails tous, je me rappelle de tout. C’est que j’avais cinq ans quand ils m’ont quitté.
J’avais cinq ans.
Bon, c’était la guerre.
Un jour, il y a les camions des militaires, pleins de camions qui arrivent, ils commencent à rentrer dans les portails des cours des maisons.
Nous avions un couloir très long. Ils rentrent là. Nous avions la petite cour de l’autre côté. La grand-mère et la tante ne dirent rien.
Ils nous remplissent le couloir de fromages gros comme la table. Comme des roues de camions, et des sacs de riz de lentilles, il y avait de tout. L’abondance, la seule chose dont je me rappelle c’est que les camions avaient le toit bleu. Et ils étaient habillés en bleu ça je me rappelle donc je pouvais pas savoir quelle armée c’était ni rien. Ils sont tous rentrés là-bas dedans.
Il a fallu qu’on se cache dans dans nos chambres et qu’on reste enfermée là-bas. Et le lendemain matin, on croyait qu’il allait y avoir quelque chose. On s’est levée il n’y avait plus rien, même pas une lentille par terre. Dans la nuit, ils ont tout emporté, c’était pendant la guerre tout ça.
Affiche de Leloup pour Solidarité internationale antifasciste
L’Intransigeant, 5 septembre 1936
Franco interviewé par L’Intransigeant : l’envoyé spécial se rend au Grand Quartier général des armées nationalistes pour rencontrer « ce général en chef de 43 ans, accouru des Canaries et débarqué voici trois semaines sur le sol d’Espagne ».
On avait faim.
La petite maison qu’ils avaient acheté mes grands-parents, la mairie leur a estropiée parce qu’il fallait passer une route. Ils nous ont donné l’argent et sous forme de coupons. Pour qu’on puisse les vendre.
Mon père avait commencé à faire la demande pour que je puisse rentrer en Algérie. Il a commencé à faire des papiers. J’avais tous les dossiers tout était prêt. On allait vendre ces tickets pour pouvoir partir. Mais moi, je ne voulais pas partir. Moi, j’allais avoir seize ans j’avais les copines, les copains, un petit noyau ou quoi.
Je laissai passer le temps pour valider tous les papiers une première fois. Et mon père et ma mère voilà qu’ils relancent l’affaire une autre fois.
Mon oncle me dit
— Tu sais il faudrait que tu t’en ailles parce que voilà, tu vas avoir seize ans et tu vas être une jeune fille et tu vas être raisonnable.
Je me suis retournée
— Et bien si vous voulez que je m’en aille et bien je m’en vais d’accord. D’accord, je m’en vais.
Le petit copain, la petite copine tout ce que j’avais, j’ai tout perdu. Je pars pour l’Algérie, je ne connais personne.
J’ai pris l’avion. C’était en cinquante.
ESPAÑA GUERRA CIVIL. Tarjeta Postal editada en Francia y vendida a 0,50 Fr. "POUR LA PAIX CONTRE LE FASCISME SOLIDARITÉ A L'ESPAGNE REPUBLICAINE".
Je suis partie le 14 avril 1950, je suis partie et ça m'est restée gravé dans la tête parce que j'ai pris l'avion à quatre heures quarante cinq et j'arrivais à Alger à à quatre heures quarante cinq. Comment ça se faisait ça?
Ma mère m'a expliqué après quand je suis arrivée.
Ils étaient tous beaux tous gentils
— Mais mange, mange!
Moi j’étais étrangère c’étaient tous des étrangers pour moi.
J’arrive chez mes parents et le soir ma mère mon frère mes sœurs, tout le monde, se met à table.
Ma mère avant de partir me chercher avait préparé... écoute, elle avait fait une soupe de pointes d’asperges. Mais je ne sais pas comment elle avait pu faire le jus, il était comme du lait et il y avait les pieds de pointes d’asperges et il y avait de tous petits petits bouts de mouton qu’elle avait fait revenir. Moi je me dis
— Est-ce qu’elle est bonne ou est-ce que j’ai faim?
On finit la soupe et ma mère me porte un plat énorme de charcuterie. De tout ce que tu voulais, jambon cru, jambon cuit, pâté et saucisson, un plateau magnifique énorme.
— Allez, mange, mange ça, mange, mange!
Moi je mangeais.
Et à la fin on sort le dessert, il y avait des oranges. Il y avait des poires, un petit peu de tout, et il y avait des bananes et moi, je vois la banane, j’avais jamais mangé de banane. Alors, j’ai dit à ma mère
— Est-ce que je peux manger une banane ?
— Mais oui, mais oui, tu peux manger des bananes!
Je mange ma banane mon ventre était plein.
J étais bien, et voilà le moment de débarrasser la table. Sur la table de ma mère, on avait une glacière, mon père mettait un pain de glace le matin pour qu’on puisse conserver la nourriture. Ma mère prépare le plat et le reste, elle le met bien à l’abri, elle met le plat dans la glacière bien protégé. Sur la table, il restait des bouts de pain, des bouts de ça sur la table. Elle ramasse le tout et le balance à la poubelle. Ça va à la poubelle!! et mes petits cousins là-bas qui ne peuvent pas manger. Je m’étais rendue malade et je me suis dit bon, ils ont fait ça aujourd’hui parce que je viens d’arriver mais peut-être que demain il y en aura pas autant.
Mais, ces bouts de pain qui partaient que je voyais jeter ça m’avait crevé le cœur mes petits cousins là-bas qui n’ont pas.
Mais c’est que le matin, le marchand posait deux litres de lait chez ma mère. Quand elle rentrait, elle faisait bouillir le lait et quand elle le retirait du feu elle le mettait dans un coin de la cuisine et le couvrait, il était tellement bon, il faisait une crème.
Et le lendemain mon frère se lève pour aller travailler et, à chaque fois qu’il ouvrait la porte, pam pam pam pam pam, ça nous réveillait, moi je trouvais ça tout drôle, et à la cuisine il se servait son bol de lait et il ramassait toute la crème et il partait au travail. Après se levait Milia et je l’entendais crier
— Maman !! Antoine il a pris toute la crème du lait.
C’était le scandale avec la crème de lait et ça, c’était tous les matins.
Ma mère était la seule qui travaillait. Elle faisait la couture ou le repassage.
Elle faisait pas beaucoup de nettoyage parce qu’elle ne voulait pas. Elle disait «Je ne veux pas faire le ménage pour personne» mais en partant on lui donnait son argent alors, elle arrivait à la maison et ne disait rien. Il y avait ma sœur et moi elle me disait voilà, tu vas aller chercher à manger pour ce soir et pour demain tu prends ça ça ça ça ça. On partait toutes les deux, on prenait un mélange de charcuterie. Alors, il mettait un petit peu de chaque. Il nous faisait payer. Comme si tu disais trois euros, on achetait le pain. On revenait à la maison. Elle faisait à souper et on lui donnait l’argent qui restait, et tous les soirs, tous les soirs, c’était comme ça.
Alors, c’est-à-dire que l’on vivait très modestement. Puisque ma mère nous habillait avec ce qu’on lui donnait. Elle faisait tout, elle coupait les chemisiers, coupait le pantalon mais elle nous habillait bien avec ça. Très modestement.
Mon frère gagnait un tout petit peu, il le donnait à mon père pour qu’on puisse payer le loyer.
Mon père travaillait dans une fabrique d’espadrilles, on lui donnait trois ou quatre sous pour qu’il fasse les finitions parce-que la machine n’arrivait pas à faire le contour du talon.
Après, j’ai trouvé du travail mais je ne savais pas parler, je ne parlais que l’Espagnol. Mes sœurs, ont trouvé du travail chez une couturière.
J’avais eu le tort en arrivant, je m’étais branchée sur la radio Espagnole. Et va que j’écoute l’Espagnol et va que j’écoute l’Espagnol.
Et un jour je me dis, c’est pas bon ça! N’écoute plus l’Espagnol, mets-toi au français!
Donc après je n’écoutait plus l’Espagnol et je me suis forcée à écouter davantage le français, écouter écouter écouter, je comprenais tout mais je ne savais pas parler. Je voulais même pas dire de l’eau. Rien, ça ne sortait pas. Et je tombe sur pépé que parle Espagnol, donc pour moi, c’était formidable.
Non, j’ai quand même appris pas mal avec lui, il est né en Algérie lui. Il est né à Oualidia.
Milia ne travaillait pas.
Passi c’était une couturière, il n’y en avait pas deux comme elle. J’avais vingt ans quand je me suis mariée, ma robe de mariée, c’est elle qui l’a faite. Elle a fait la robe entièrement. Avec un confetti, elle me faisait la robe et, à chaque fois, on lui disait mais il n’y a qu’un tout petit bout, et elle coupait, elle coupait, elle retravaillait.
La rue Abdallah est la rue marchande la plus prestigieuse à Blida. C’est là où se rendaient les familles de Blida, des environs et même d’Alger pour faire les achats de luxe et spécialement les achats pour les mariées. Depuis longtemps, pas mal de magasins étaient gérés par les citoyens mozabite dont la spécialité dans les tissus et habits de luxe n’est plus à démontrer.La plupart des magasins étaient d’une propreté irréprochable et souvent très fournis.
Je ne savais pas parler et en Algérie pour embaucher un autre étranger il fallait être dix français. C’était un magasin comme les dames de France, il y avait trois étages. Ils avaient embauché déjà 3 italiennes.
Donc avec les Français qu’il y avait déjà, ça tombait tout juste le compte.
Je ne sais pas comment il s’est débrouillé le patron. Ils se sont dits et bien on va créer un emploi. On va créer un emploi mais quoi?
Quand tu achetais une paire de bas, ça coûtait cher très cher et comme il y avait un commerce, il y avait déjà la parfumerie, le tissu, la maison. Il y avait le prêt-à-porter, c’était un grand magasin.
— On va aller acheter une machine à Rome et et on prendra la petite.
— Mais moi je ne sais pas faire.
— On vous amène à Alger pour apprendre.
Ils m’ont pris dans la voiture, ils m’ont emmené à Alger. Ils ont acheté la machine et je tombe sur un jeune qui parle Espagnol et qui m’apprend la manipulation. En deux heures, je savais le faire et mon patron, c’était un juif, oui et associé avec le docteur Trigo inventeur d’Orangina.
Orangina est née de la rencontre, à l'automne 1935 à la foire de Marseille, d'un inventeur, le docteur Trigo, et d'un visionnaire, Léon Beton. Le docteur Trigo Mirallès, pharmacien à Valence (Espagne) est l'inventeur d'un procédé permettant de conserver le jus d'orange plus longtemps : son idée consiste à mélanger un concentré de jus d'orange à de l'eau gazéifiée, le tout étant conditionné dans une bouteille granuleuse et ventrue comme une orange, avec, en guise de bouchon, une fiole renfermant de l'huile essentielle d'orange. Trigo baptise son invention " Orangina, soda de Naranjina " (naranjina signifie " petite orange " en espagnol).
Léon Beton, natif de Boufarik, quant à lui, élabore et commercialise, en Algérie, des huiles essentielles de lavande et de géranium. Il s'intéresse également aux jus de fruit, et se demande comment écouler la production d'orange d'un pays qui se couvre d'orangeraies. " Un jour, se dit-il, nous connaîtrons la formule qui permettra de boire le jus de nos oranges aux quatre coins du monde… " Après sa rencontre décisive avec le docteur Trigo, à Marseille, Beton rapporte la fameuse formule chez lui, à Boufarik, petite ville de la plaine de la Mitidja. Dès sa naissance, la marque est secouée car la guerre d'Espagne et la Seconde Guerre mondiale interrompent son développement.
Ils étaient deux frères. Ils vendaient les tissus, la bonneterie, la parfumerie, la mercerie et tout le linge de maison. Et au premier étage, il y avait tout le prêt-à-porter pour homme et pour femme. Au troisième étage, on avait la réserve, toute la réserve. Et on faisait tout à la réserve, il y en avait une cheminée. Et par la cheminée, on m’appelait, à moi
— Paquita! Je voudrais une boîte de mouchoirs comme ça ou comme ci!
— J’en ai au rayon!
Je trouvais la référence, ce qu’il fallait, et je mettais dans la cheminée, pour faire passer au magasin
De la parfumerie en haut, on ne pouvait pas envoyer les parfums alors tu me voyais descendre avec mes bouteilles et mes parfums.
Au coin de la rue Abdallah on retrouve le magasin Draï avec à sa droite la Boucherie W. Chiche et la Charcuterie Cogny,
http://www.blidanostalgie.fr/Quartier%20du%20marche.pdf
- "Cher petit père, j'ai fini par retrouver "Chez Draï"
Comment je m’habillais pour aller au bal?
Ma mère nous faisait de belles choses. C’était l’époque où l’on faisait beaucoup de robes, de jupes à fleur juste en bas du genoux, alors ma mère nous faisait un petit haut avec un bout de drap, elle rajoutait une dentelle, on avait tout d’ajusté.
Et j’avais toujours mes talons parce que j’adorai les talons.
https://blidanostalgie.pagesperso-orange.fr/place%20d%20armes.htm
Pierre PENIN
Ah, qui dira jamais ton charme,
Mon élégante place d'Armes
Ceinturée de beaux arbres verts,
Où nos dix ans, pleins de promesses,
Ont fait jadis mille prouesses.
Au temps joyeux des jeux divers
Quel branle bas, quel tintamarre
Sur un ballon rond qui démarre !
Quels bondissements triomphants
Cris stridents dont l'âme s'allège
Le long des murs du collège
Quand on est tout fier d'être enfant !
Et puis les années s'additionnent.
D'un uniforme on s'ambitionne.
On est conscrit, on est soldat ;
Oh ! chers souvenirs de naguère
Grands gamins on part à la guerre
Et pour la France on se bat.
La vie de Blida continue
Ma Place au bout de l'avenue
Tu demeures chère à nos cœurs
On pense à toi, on te retrouve
Dans notre esprit où l'amour couve
Des pensées de jours de bonheur
On revoit les beaux jours de fête
Les beaux soirs d'entente parfaite
Les drapeaux neufs, les serpentins
Les mille lampes colorées
Qui pendant d'exquises soirées Nous font tous comme des pantins.
Nos vingt ans, dont nul ne se lasse,
Ressuscitent en toi, ma place,
Ma chère place de Blida,
Et tu restes la plus aimée
Dans ta couronne parfumée
Où les oiseaux ont leurs ébats.
Comme une vivante émeraude
Sur ton kiosque où notre cœur rôde
Ton beau kiosque tout ciselé,
Ton palmier balance ses palmes
Dans le matin bleu, le soir calme
Et le firmament constellé.
Ah, ma divine place d'Armes
Pour nous Blidéens que de charme
Se dégage de ton carré !
Lorsque je foule ton asphalte
Mon amour pour toi me dit " Halte "
Je m'arrête pour t'admirer.
Après j’ai voulu une robe jaune et ma mère m’avait fait une robe jaune plissée et j’avais brodé en marron tout le tour du col, elle était belle cette robe.
Après j’avais, … qu’est ce que j’avais, l’hiver on était un peu plus couvert, ah oui j’avais une jupe noire que lui aimait beaucoup, avec un chemisier noir et le gilet rouge
Je faisais l’espagnole
Ah il aimait ça !! et j avais toujours, toujours, les souliers à talon. Ma sœur elle ne pouvait pas en porter, son pied partait en avant, elle avait les doigts qui sortaient, ah ce qu'elle râlait !!!
Et moi j’avais toujours le plus haut possible, j’étais sur des talons incroyables
J'étais coiffée, et bien comme tu as vu là, j’avais la permanente et sans permanente je les laissais flous,
J’étais pas maquillée, rien du tout, mon père ne le voulait pas.
On allait au bal et on dansait, le tango, le chachacha, le rock-and-roll, mais moi je ne savais pas danser le rock.
Il y avait le kiosque au milieu et dans le kiosque il y avait l’orchestre.
Il venait un orchestre tout l’été et on dansait sur la place, tout était libre, il n’y avait rien de fermé et il y avait les bars qui faisaient tout le tour de la place et les gens s’asseyaient là, ils buvaient, ils consommaient et nous on dansait.
C’était une vie saine, tu vois …
On se cherchait, si tu ne voulais pas voir celui là, et bien tu t’en allais de l’autre coté.
Mon père il avait misé sur un Espagnol qui me collait. Il s’appelait Botella.
J’ai dansé une fois avec lui , bouh qu’il sentait mauvais de la bouche, et je pouvais pas et je ne voulais pas, à chaque fois que je le voyais je filais de l’autre coté.
Et je ne voulais pas danser avec lui, il n’y avait rien à faire.
Et le plus beau c‘est que les parents restaient avec nous jusqu’à deux, trois, quatre heures du matin, tant qu’on dansait ils restaient.
Mon père faisait le gendarme, il nous surveillait.
Il y avait un couple, lui était footballeur dans le club de Blida, ils étaient arabes, et elle, une brune mais belle tu peux pas savoir, et lui il était arabe mais plus francisé, tu vois, et ces deux là ils dansaient le rock comme des Dieux.
Alors quand l’orchestre jouait du rock et bien tout le monde s’écartait pour les voir danser. Fallait les voir.
Le bal c’était les samedis soirs.
On allait aussi à la bataille des fleurs, Blida voulait faire mieux que Boufarik il y avait une sorte de compétition. Boufarik commençait et Blida suivait.
Il existait deux clubs de foot à Blida, il y avait le club des fils à papas et il y avait le club de tout le monde.
Le club des riches organisait des soirées dansantes, des apéritifs dansants.
Un jour je demandais à mon frère de m’y emmener.
— Bon ben on va vous emmener, mais vous restez tranquilles hein ?
Il rouspétait, il fallait pas qu’on se fasse remarquer.
Nous sommes rentrés dans la salle du haut car en bas mon frère ne voulait pas que nous allions en bas, c’était les «calluros», les gens ordinaires quoi, et mon frère voulait qu’on aille chez les riches.
On y est retourné deux ou trois fois et après on a arrêté parce que la place était trop chère.
Mais il y avait un orchestre formidable, après je les ai vu jouer une fois à la télévision ils sont sel et poivre.
On dansait jusqu’à dix huit heure trente, dix neuf heures parce-que après, il y avait les autres qui rentraient dans la salle et c’était petit alors…
Après, toute la semaine on travaillait, et on pensait à dimanche.
L’hiver nous allions au cinéma, et, lorsqu’on sortait du cinéma, mon père était là, le gendarme.
L'hiver nous allions au cinéma, et, lorsqu’on sortait du cinéma,
mon père il était là, le gendarme.
Un soir d'été alors que je m'ennuyais, Je décidais avec mon camarade Robert d'aller danser à Mahelma, nous fîmes le plein d'essence à la moto, et en route. Aussitôt arrivés à Mahelma, un léger pressentiment me vint, ici, il n'y a rien de bon, peut être qu'à Fouka ville on s'amusera un peu mieux.
Oh Robert, On va à Fouka...! Si tu veux. On monte sur la moto et nous partons. La nuit était froide mais nous avions assez de courage pour arriver 20 minutes plus tard , nous étions à Fouka, debout à l'entrée du bal. Je fis une seule danse, pas plus que mon camarade Robert, et nous décidions de repartir quand tout à coup, deux petites proies se présentaient à mes yeux. Ha ha Robert, voilà notre soirée assurée. Vite je m'empressais d'aller inviter celle qui m'avait plu. Je faisais usage de mon baratin, je la bourrais de questions, elle ne savait que répondre, elle me disait qu'elle était fiancée à un morceau d'Espagnole, je ne prêtais pas attention puisqu'en moi-même je pensais que c'était du bleuf. Elle était assez jolie, elle avait une façon de me regarder qui me rendait un peu amoureux. Quand la soirée fut terminée un amical au revoir fut échangé, sans malice. Le lendemain je ne puis rester au bal, un accident de moto m'obligeais à retourner à Boufarik. Le lendemain, me revoilà au bal, Elle était là, toute belle qui m'attendais, je faisais deux ou trois danses et paratgeais ma soirée avec ma blidèenne. Elle était toute joyeuse que je sois tout prés d'elle, mais il fallait bien partir, je lui proposais de la revoir à Blida, Au revoir, au revoir. 2 semaines se passèrent; la troisième je me rendais à Blida avec mon camarade qui lui avait fait autant que moi. Nous tombons nez à nez avec nos deux petites trouvailles, nous faisions un tour sur le boulevard , un deuxième, mais il était tard , elles devaient rentrer , nous nous donnions rendez vous à N.Haroueli. Elle faillit me briser la main tellement elle me la serrait. Au revoir ma petite Lilii et à Bientôt à Haroueli.C'était d'accord. Voilà que quelques jours plus tard , je me rendais à Masoueli mais une amie d'Alger (Josette n°1) était avec nous et voulait à tout prix danser avec moi, ce qui ne plaisait pas à ma petite cavalière, je refusait donc de danser avec elle Je pus m’apercevoir ainsi qu'elle tenais déjà un peu à moi car elle me dévisageais d'un air mécontent. Je terminais toute la soirée avec elle et avant de partir il fallait bien que je l'embrasse car j'en mourrai d'envie et elle ne voulait pas. Mais comme je suis plus malin qu'elle, à l’entracte j'allais déposer ma moto chez son amie Josette (n°2) et à la fin du bal j'allais la reprendre c'est alors que je pu savourer ses lévres malgré qu'elle se débattait , je lui donnais un autre petit baiser et je reparti avec mon camarade Robert pour Boufarik.
Le Phénix est distillé avec un soin tout particulier et son arôme exquis en fait un apéritif très apprécié. Suivant une tradition datant du début du siècle, les graines d'anis du Phénix sont distillées dans un alambic artisanal à vapeur, dans le respect des règles de l'art : elles baignent pendant plusieurs semaines dans un alcool extra neutre titrant plus de 90° puis sont versées dans des alambics en cuivre. Tout l'art de la distillation, contrôlée par Moïse Taïeb, est de déterminer la qualité de produit de "tête" et de "queue", à éliminer pour ne conserver que le "cœur" de chauffre, ce cœur qui caractérise le goût, la qualité et le bouquet du Phénix.
A cette époque, pépé était de Boufarik, j’étais de Blida. Alors, il descendait jusqu’à la maison, et il repartait à pied quatorze kilomètres.
Il me mentait parce-que je lui disais
— Avec qui tu t’en vas?
— Il y a mon copain José qui monte sur Boufaric et je pars avec lui.
Tu parles, il partait à pied …
Il venait le mardi, le jeudi, le samedi et dimanche.
Mon père ne voulait pas qu’il rentre dans la maison, il restait dehors.
Une année, il y a eu une tempête de neige qui est tombée sur l’Algérie, incroyable, et, comme à son habitude il devait venir me voir.
Il savait que mon père aimait les oiseaux, il a été acheter deux oiseaux, une cage, et il lui a offert.
Mon père avait quand même conscience qu’il ne pouvait pas le laisser partir sous la neige, et il l’a laissé rentrer.
Il a dormi par terre dans la salle à manger.
Il était une fois une fille de roi
Au cœur plein de tristesse
Enfermée nuit et jour
Au sommet d’une tour
Elle pleurait toujours
Un jour, prenant son vol,
Un gentil rossignol
Vint dire à la princesse
"Je t’apporte l’espoir"
Et c’est pour le revoir
Qu’elle chantait le soir
Rossignol, rossignol de mes amours,
Dès que minuit sonnera,
Quand la lune brillera,
Viens chanter sous ma fenêtre
Rossignol, rossignol de mes amours,
Quand ton chant s’élèvera,
Mon chagrin s’envolera
Et l’amour viendra peut-être.
Ce soir, sous ma fenêtre
Reviens, gentil rossignol
Le rossignol revint, se posa
Sur la main de la belle princesse
Elle le caressa puis elle l’embrassa
Et il se transforma
En un prince charmant
Qui devint le galant
De sa jolie maîtresse
Et c’est pourquoi depuis
Les filles du pays
Chantent toutes les nuits
On s’est rencontré j’avais oh, j’avais pas mes dix-sept ans encore peut être, et on s’est marié j’avais vingt ans et cinq mois donc tout ce temps là regarde. Pendant deux ans et demi au moins, quatre fois par semaine, il a marché quatorze kilomètres au retour pour venir et retourner chez lui, des fois il avait un vélo, mais il partait le plus souvent à pieds.
Quand est venu le mois de septembre la deuxième année, l’hiver allait arriver, il m’a dit
— Tu sais ça me fait mal de passer un hiver encore comme ça sur la route, l’été ça va mais l’hiver...Et si on se mariait?
— Si tu veux mais moi je ne le lui dis pas à mon père, tu lui dis toi.
Et il a été lui demander ma main,
— Nous avons décidé de nous marier, on ne peut plus rester comme ça.
— Oui oui, ça va d’accord, bien sûr, répondit mon père.
Mais la question n’était pas là, le problème c’est que j’avais vingt ans et cinq mois et la majorité était à vingt et un ans. Il a fallu aller au consulat Espagnol faire une dérogation et qu’ils me donnent la permission de me marier parce-que j’étais mineure. On avait fait tous les papiers, c’est pour ça que j’ai pu me marier à vingt ans et six mois, parce-que je suis née en avril et que l’on s’est marié en septembre.
Et deux ans et demi vierge! Je ne l’autorisais pas à me toucher, déjà que pour m’embrasser c’était compliqué!
Je me suis mariée le 25 septembre 1954 à Blida.
Il était policier. C’était une autre vie.
Il y avait un magasin de chaussure comme celui qu’il y a à Cannes, qui sont tellement chères en face du magasin dans lequel je travaillais.
Il y avait une paire de souliers rouges, une merveille et tout le temps, tout le temps, je passais devant et je voyais ces souliers.
Comme elles étaient tellement chères, elles ne se vendaient pas. Avec ma mère et mon père, il n’y avait pas moyen d’acheter les souliers.
Quand je me suis mariée, la première connerie que je fais c’est d’aller m’acheter mes souliers rouges.
Et je pars chez ma mère et mon père
— Mets ces souliers rouges et tu n’as plus qu’à monter sur les planches! Me dit mon père.
Il me faisait des histoires parce que j’avais acheté ça ou que j’avais acheté ci. Et un jour, je ne sais plus ce que j’avais acheté, je rentre chez mon père et là, rien, il me faisait la tête, tous les soirs il m’ignorait, je descendais à la maison et tous les soirs, je pleurais, je me couchais sans souper.
Pépé un jour me dit
— Je vais aller voir le beau-père et on va voir ce qu’il me dit.
On était déjà marié, il est monté chez le père, il a commencé à lui parler de je ne sais plus quoi.
Pépé lui dit
— Écoutez moi bien, on est marié si elle dépense l’argent bien, tant mieux pour moi, si elle dépense mal, et bien tant pis pour moi, mais laissez la tranquille.
Et ça a été fini. Oui, il était courageux. Il m’aimait, mais beaucoup, tu vois. Il ne supportait pas que je pleure.
Et mon père, il l’a remis en place.
Pour le mariage, le commandant de pépé avait dit
- Je vais lui faire un cadeau.
- D’accord
Il n’est pas venu au mariage, il était parti à la montagne mais, quelques jours après je reçois un cadeau, je reçois un réveil comme ça, un gros réveil, très bien, très bien le réveil, très bien,
C'est que pépé quand il a commencé en tant qu’occasionnel dans la police il fallait qu'il prenne le travail la nuit
Mais qui allait nous réveiller la nuit? Il n' y ‘avait pas moyen de nous réveiller. Rien à faire, le réveil, je le mettais et le réveil sonnait, on ne se réveillait ni lui ni moi. Finalement, on avait une bassine en zing, je mettais toutes les cuillères et toutes les fourchettes de la maison dans la bassine et je mettais le réveil au milieu. Et ça faisait drrrrrrrrrrrrrlllll
mais on ne l’entendait pas.
Alors, un soir et deux soirs et trois soirs on venait le chercher et la porte du jardin. Elle était en fer, les agents de police foutaient de ces coups de pieds dedans qet finalement on finissait par se réveiller.
Et voilà, on était là, et de là, on est parti à Mascara, puis Tizi Ouzou, de Tizi Ouzou à Boufarik et de Boufarik à Saint-Étienne.
On a vagabondé.
Il était fort.
Nous sommes partis à Bougie.
Un matin il est venu me chercher en me disant
— Ça y est, j’ai trouvé une chambre!
C’était une petite chambre toute petite, tout en bois, les murs, tout en bois. Mais j’avais la jolie fenêtre, j’avais la mer devant moi. Il y avait un lit, il y avait un petit lavabo. Je crois qu’on peut pas faire plus petit lavabo, une toute petite table, on aurait pu mettre quatre chaises et une petite armoire. C’est tout ce que j’avais.
C’était une petite chambre toute petite, toute en bois, les murs, tous en bois. Mais j’avais la jolie fenêtre, j’avais la mer devant moi. Il y avait un lit, il y avait un petit lavabo. Je crois qu’on peut pas faire plus petit lavabo, une toute petite table, on aurait pu mettre quatre chaises et une petite armoire. C’est tout ce que j’avais.
J’étais en train de trier les affaires, un côté pour la vaisselle et l’autre côté pour le linge quand il vient me dire
— Tu vas pas au cabinet toi.
— Comment ça je vais pas au cabinet?
— Non, je ne veux pas que tu ailles là-bas.
— Et alors comment je vais faire?
— On va monter en ville et tu vas acheter un vase de nuit le sceau avec le couvercle et tout parce que je veux pas que tu ailles au cabinet là-bas.
Comme il allait à la caserne, il prenait la douche tout bien, mais moi je me lavais comme les chats.
Un jour, les voisins d’en face, un couple de CRS, à tous les deux ils devaient faire au moins deux cent kilos, deux cent cinq kilos, il était énorme et elle, elle n’était pas mieux. On entend crier la femme, mais fort!!.
Elle avait été au cabinet et elle avait passé le pied à travers le plancher.
C’était pour ça que pépé ne voulait pas que j’y aille.
Ils ont eu du mal à la sortir.
On est resté quand même six mois comme ça sans pouvoir se laver ni rien. On était tous les deux et on allait à la mer quand il était libre, on prenait un bon bain et puis après on rentrait. Moi j’étais heureuse. Moi j’étais bien. Je dormais toute la journée. J’étais toute seule, il partait à sept heures le matin, il revenait que le lendemain matin à sept heures, il travaillais vingt-quatre heures et il se reposait vingt-quatre heures. Je m’alimentais avec un café au lait, je ne sortais pas. Quand je savais qu’il allait rentrer, j’allais acheter deux petites côtelettes d’agneau pour chacun, une tomate et voilà notre souper de tous les jours, c’est tout ce que je savais faire.
Ça a duré six mois comme ça là-bas, mais on était heureux, vraiment heureux. Quand il était de repos, on se retrouvait avec toute la bande de CRS, avec les femmes, au bord de mer.
Il y avait une gargote qui nous servait l’apéritif, des eaux de vie.
Lorsqu’on arrivait, on disait
— Cinzano?
Et une fois c’est toi qui paye, une autre fois c’est l’autre, je crois qu’on leur vidait leur stock d’olives. On passait une après-midi là-bas jusqu’au soir. Et le soir, on rentrait chacun chez soi.
On était heureux, on avait pas d’argent, pas beaucoup, on en avait pas.
Et on est parti de là-bas. J’avais eu juste pour payer le train qui nous amène à Oran et d’Oran, on a été logé chez son chef et on est resté avec la famille les quinze jours, on dormait par terre sur un matelas, on n’avait pas de logement, on n’avait rien et au bout de quinze jours, il y a un copain qui lui dit
— Ecoute, j’ai un studio mais je vis maintenant avec ma copine. Si tu veux, je te le loue le studio.
Il était assez cher. On prend le studio pour un mois, pour soulager cette famille. Dans la cuisine, on ne rentrait pas à deux. Il n’y avait de place que pour une cocotte-minute et moi et c’est tout.
Dans la salle d’eau pareil, un tout petit lavabo, mais à peine tu pouvais t’asseoir.
On est resté peut-être cinq ou six mois.
Ensuite, on trouve une pièce minable, avec un petit lavabo une fenêtre cinquante sur cinquante c’est tout ce que je voyais. Bon ben, on était là. Et c’est là que j’ai commencé à vouloir un bébé, je voulais un bébé, je pouvais pas me mettre dans la tête autre chose même dans la situation dans laquelle je vivais, je ne pouvais pas penser à autre chose. Et juste quand j’allais avoir le bébé, on a trouvé un deux pièces dans une petite maison dans un village à côté, et c’est là qu’il est né Jean-Claude.
On avait l’eau dans la cuisine, le cabinet devant, dehors. comme dans les anciennes maisons.
La guerre d’Algérie, aussi connue sous les appellations événements d'Algérie, révolution algérienne, guerre d'indépendance algérienne et guerre de libération nationale, est un conflit armé qui s'est déroulé de 1954 à 1962 en Algérie, colonie française depuis 1830, divisée en départements depuis 1848. L'aboutissement est la reconnaissance de l'indépendance du territoire le 5 juillet 1962.En tant que guerre d'indépendance et de décolonisation, elle oppose des nationalistes algériens, principalement réunis sous la bannière du Front de libération nationale (FLN), à la France. Elle est à la fois un double conflit militaire et diplomatique et aussi une double guerre civile, entre les communautés d'une part et à l'intérieur des communautés d'autre part. Elle a lieu principalement sur le territoire de l'Algérie française, avec également des répercussions en France métropolitaine.
Elle entraîne de graves crises politiques en France, avec pour conséquences le retour au pouvoir de Charles de Gaulle et la chute de la Quatrième République, remplacée par la Cinquième République. Après avoir donné du temps à l'armée française pour lutter contre l'Armée de libération nationale (ALN) en utilisant tous les moyens à sa disposition, de Gaulle penche finalement pour l'autodétermination en tant que seule issue possible au conflit, ce qui conduit une fraction de l'armée française à se rebeller et entrer en opposition ouverte avec le pouvoir. Cette rébellion est rapidement matée.
La guerre d'Algérie présente un bilan lourd, et les méthodes employées durant la guerre par les deux camps (torture, répression de la population civile) furent controversées. Plus de 250 000 Algériens sont tués dans cette guerre (dont plus de 140 000 combattants, ou membres du FLN), et jusqu'à 2 000 000 envoyés dans des camps de regroupements (sur une population de 10 000 000 de personnes). Près de 25 600 militaires français sont morts et 65 000 blessés. Les victimes civiles d'origine européenne dépassent les 10 000, dans 42 000 incidents violents enregistrés.
Le conflit débouche, après les accords d'Évian du 18 mars 1962, sur l'indépendance de l'Algérie le 3 juillet suivant, et précipite l'exode des habitants d'origine européenne, dits Pieds-Noirs et des Juifs, ainsi que le massacre de près de 50 000 harkis.
https://fr.wikipedia.org/wiki/Guerre_d%27Alg%C3%A9rie#cite_note-267
Ernest pignon ernest
Au départ pépé, il était peintre en bâtiment en Algérie. Et après quand on s’est marié, je lui ai dit
— Écoute l’été tu te crèves à travailler, tu vas pas rester comme ça.
— Oui, tu as raison.
Enfin on avait parlé, on avait discuté et juste à ce moment là, il a une proposition pour passer le concours de la police. Il faisait des missions comme occasionnel dans la police, c’était le début des événements en Algérie. Et au bout d’un mois, un mois et demi, il me dit
— Écoute, s’il faut rester dans la police, il faut passer le concours. Je passe le concours.
En même temps, il y a une dame, je ne sais pas qui elle était qui lui dit
— Monsieur Martinez, pourquoi vous ne présenteriez pas la gendarmerie?
— Je présente la gendarmerie et je présente le concours de la police.
Et là, une cliente de ma mère, son mari était directeur de la Banque de France, lui dit
— Pourquoi votre gendre ne présente pas le concours de la Banque de France?
Alors pépé a passé les trois concours, gendarmerie, police et Banque de France.
— Le premier que je réussis, je le prends.
C’est la réponse de la police qui est arrivée en premier, la banque l’a accepté et la gendarmerie l’a accepté ensuite.
Il aurait pu avoir deux autres schémas de vie possibles. Avec un certificat d’étude qu’il a c’est tout. Il était intelligent pépé, il écrivait très bien.
Jean Vimenet, La Guerre d’Algérie (1960-1961). Huile sur toile, 180 x 325 cm, coll. part. © JVSCE, 2019
Il a passé le concours de police à Blida et ils l’ont envoyé à Saint-Eugène à cinquante kilomètres à l’école et il est sorti quatorzième ou quinzième de sa promotion. Malheureusement, il n’y avait que les dix premiers qui pouvaient choisir où ils voulaient muter, alors ils nous ont envoyés à Bougie dans un bled joli.
On est là trois mois, non six mois. Ensuite on a demandé la mutation pour se rapprocher un peu plus de la famille.
Toute la famille était à Blida et on voulait se rapprocher un petit peu.
— On va demander Oran!
Mais Oran, il fallait donner une adresse pour l’obtenir parce que sinon on ne l obtenait pas.
— Oui et bien j’ai mon oncle qui habite là-bas, tonton André. Il habite au 8 boulevard Sébastopol.
Ils s’en vont faire les papiers et la demande de mutation a été acceptée. Au mois de septembre, on fout le camp à Oran. On arrive à Oran, on n’avait pas où se loger on n’avait rien. Bon enfin. Là, ça a été une période terrible et moi je voulais avoir un petit et en plus, je ne pouvais pas l’avoir.
Pépé était dans les CRS, il ne voulait pas être CRS lui, il voulait être police nationale, il demande alors une permutation à Mascara.
A Mascara, on a trouvé une pièce minable et on est resté trois mois.
Après trois mois, on a trouvé un permutant, quelqu’un qui voulait partir de Tizi Ouzou et qui voulait revenir à Mascara.
— Tizi Ouzou? Ça me rapproche de cinq kilomètres de chez moi a dit pépé.
Alors on a fait une nouvelle permutation encore.
On arrive à Tizi Ouzou, je tombe enceinte.
J’ai eu Jean-Claude à Tizi Ouzou.
Après quelques temps, il fait une nouvelle permutation en demandant Blida et Boufarik. Il obtient la mutation pour Boufarik.
À Boufarik on avait un bon petit appartement on était bien.
On part de chez le docteur, je pleurais. Et pépé me dit
— Mais ne t’en fais pas, tu n’as pas d’enfant, et bien tant pis, on s’aime tous les deux et on sera toujours ensemble, et puis on aura des petits neveux.
Je ne pouvais pas avoir d’enfants.
J’avais été voir le docteur et encore un autre docteur et je me suis faite opérer de l’appendicite. Et j’en ai parlé au chirurgien. Il m’a dit
— Écoutez, moi je suis chirurgien, je ne peux rien pour vous mais je vais vous donner l’adresse d’un gynécologue. C’est un crac.
— D’accord
Et il me donne l’adresse. Je m’en vais deux, trois jours après avec pépé. On va voir le gynécologue, on arrive là-bas. Il m’examine tout bien, tout, et je ne sais pas, il s’adresse à pépé et lui dit
— Vous savez elle n’aura jamais d’enfant. Elle a une matrice d’une enfant de dix ans. C’est le résultat des petites femmes, ça ne sert à rien.
J’habitais dans une maison. Et la voisine d’à coté, son mari travaillait avec pépé, elle venait d’avoir un petit garçon.
Je n’allais pas voir le petit.
Il y avait une buanderie pour laver le linge juste à coté de la porte d’entrée, je m’en vais faire mon linge et juste là sa belle-mère qui arrive
— Madame Martinez qu’est-ce que vous faites?
— Je suis en train de faire ma lessive.
— Et alors il n’y a pas de bébé?
Je lui dis ben non, et je lui explique ce que m’a dit le docteur
— Il faut pas que vous restiez avec un premier avis. Écoutez, moi j’ai mes trois belles filles, ils vont chez le docteur Solal. Il est formidable je vous assure qu’il est très bien, allez le voir et vous allez avoir un bébé.
— D’accord, d’accord.
Mais cette femme-là avait un cancer au sein et à cet âge-là, tu sais le cancer pour le soigner, il y a 60 ans... Bon Je m’en vais chercher pépé en autocar et je lui ai dit, écoute ce qu’elle m’a dit Madame Casada et je lui raconte.
Alors pépé me regarde, il me dit
— Attention, on va monter voir le docteur mais tu vas encore pleurer
— Bon d’accord, mais je veux le voir.
Le lendemain, on monte c’était un vendredi.
Et je rentre là-bas dedans à l’hôtel Martinez en Algérie oui, il y avait l’hôtel Martinez et un grand escalier pour monter au cabinet. Il me reçoit, c’était un bonhomme.
— Oui Madame qu’est-ce qui vous arrive?
— Et bien je veux avoir un bébé, je n’y arrive pas. Et puis ça ne vient pas.
Il me prend par les épaules et il me dit
— Écoutez j’ai deux accouchements d’urgence là et je m’en vais vite vite. Je ne peux pas m’occuper de vous mais venez mardi, on fera ce qu’il faut.
— Bon ça va.
Le mardi après-midi, j’attends pépé à la gare et je monte avec lui. On monte en haut, il me met dans une petite pièce et par voie naturelle il me passe un drain. Une petite machine, qu’il déclenche.
Et il dit à l’infirmière
— Faites attention à la dame.
La machine s’arrête. Et lui, il arrive il la débranche
— Donnez la main à la dame et demandez lui s’il y a quelque chose qui ne va pas.
Ça a duré très peu de temps, je vais pour m’habiller. Je mets ma jupe et là je sens une douleur à l’épaule gauche.
— Où est-ce que vous avez mal?
— J’ai mal là, mais c’est juste l’épaule.
J’ai attaché ma jupe. Elle sort avec moi, elle va au bureau.
Alors, le docteur me regarde et me dit.
— D’accord. Bon et bien vous aviez les trompes bouchées maintenant, vous ne les avez plus. Ce soir vous ne faites rien mais demain vous commandez bébé.
Vous commandez bébé ...
Écoute Sophie, j’ai eu mes règles le treize avril. Il m’a fait le souffle le vingt huit mai. Et le treize juin, j’ai pas eu mes règles.
Je vais chercher pépé à la gare et par la fenêtre il me fait un signe, je lui réponds que non que j’ai pas eu mes règles. Le lendemain pendant trois jours, je ne les voyais pas arriver. Bon ben, c’est bon. Un matin, il se lève et il fait son café pour partir. Il vient pour m’embrasser, cette odeur de café! Elle m’a donnée nausée.
Et je suis restée un mois comme ça et je suis allée revoir le docteur qui m’a dit
— Oui, ça y est vous êtes enceinte. Et vous allez avoir votre bébé entre le dix et le quinze. Il ne s’était pas trompé le douze mars j’avais mon bébé.
Et l’autre médecin, il m’avait mise minable. Et j’avais été voir celui-là que pour obéir à cette femme parce que je la sentais si malade. J’ai voulu lui obéir parce que c’était une vieille dame et voilà, j’ai eu mon petit.
Un jour, je retourne voir ce médecin et il me dit
— Vous allez faire l’accouchement sans douleur.
— Non non non non non moi je veux accoucher normalement
— Vous accoucherez normalement mais sans douleur.
Je rentre dans cette salle, on était dix neuf femmes enceintes dans une grande salle. Il y avait des fauteuils, on n’était pas par terre et il y avait un canapé. La tête d’oreiller d’un côté et de l’autre coté il y avait une bougie plantée. Alors la sage-femme, c’était une mauresque mais elle était belle. Elle était gentille. Alors la sage-femme me dit
— Voilà normalement quand vous accouchez, on doit pas vous toucher. Vous devez accoucher normalement, ça doit venir gentiment sans appuyer, sans rien du tout. Vous allez vous allonger et en vous redressant vous allez éteindre la bougie.
C’était pour que je souffle parce que quand tu te redresses pour souffler, tu appuies toi-même sur ton bébé. Des fois, j’y arrivais et des fois je n’y arrivais pas.
Après, il nous expliquait
— Il faut que la tête passe par en bas et votre col, ça fait treize centimètres.
Il nous expliquait tout l’accouchement lui ou la sage-femme. Je ne me rappelle plus comment elle s’appelait. Elle était mignonne, mignonne et gentille. Il arrive la date d’accoucher. Le docteur dit à pépé
— Amenez-la à Sainte-Anne.
Mais c’est qu’il n’y avait plus de place, les dix neufs femmes qu’on était, on avait décidé d’accoucher presque toutes en même temps, le pauvre bonhomme, il ne savait plus où mettre la tête.
— Bon emmenez-la moi à un autre village à côté.
Et je suis restée sur la table de dépassement parce qu’il n’ y avait plus de chambre. Ils ont attendu qu’une chambre se libère pour me la donner. Alors à un moment donné l’infirmière vient, m’amène à la table de travail, s’assoit devant moi et mange une orange. Elle me dit comme ça
— Vous voulez manger une orange avec moi?
— Non non, je veux pas une orange.
— Ne poussez pas parce qu’on est pas loin des cheveux.
Moi j’avais demandé à être accouchée par le docteur. Je voulais que ce soit lui qui m’accouche.
— Ne bougez pas et prenez un petit peu d’orange avec moi.
Finalement, je me vois le docteur arriver Sophie. On ne voyait que les yeux il était tout habillé de la tête aux pieds en blanc.
— Allez, qu’est-ce qui se passe Madame Martinez? C’est le moment d’éteindre la bougie!
J’avais pas poussé deux fois que c’était bon, il a pris le petit bébé, et il m’a dit
— Vous avez un petit garçon.
Il me le portait comme un lapin pour me le montrer et je lui dis comme ça
— Habillez-le en rose!
J’avais parié avec pépé que c’était une petite fille
Alors il me regarde et il me dit
— Et bien je m’excuse Madame, mais tous les bébés que j’ai mis au monde je les habille en blanc. Il avait ouvert la valise et vu que j’avais du jaune du rose du bleu et du blanc et il me l’a habillé tout en blanc.
Il est parti de la chambre et il a donné le bébé à ma mère, il revient vers moi et il me dit
— La dame qui est dans la chambre, c’est votre maman? Qu’est-ce qu’elle a dû être belle étant jeune.
— Oui, c’est vrai, elle a été très très belle.
Et voilà, c’est comme ça que j’ai eu mon bébé. Il n’était pas beau mon bébé, il avait des poils au nez.
J’ai eu des difficultés parce que comme j’avais personne autour de moi pour me dire ce que je devais faire, j’ai écouté les uns et les autres, je me suis guidée toute seule. On a voulu que je lui donne la tétée mais mon lait n’était pas bon donc il grossissait pas. Je voulais l’emmener chez le docteur.
Le docteur me dit
— On va le mettre au biberon et on va lui donner le Modilac parce que c’est le lait qui ressemble le plus à celui de la mère.
Je sors à Oran je vais chercher mon Modilac, j’achète la bouteille d’Évian à la pharmacie parce que il y en avait pas et je prends mes biberons, je vais à la maison et je lui prépare le lait. Je le cale bien, mais Monsieur n’aimait pas le lait. Moi je le goûte le lait et c’est vrai qu’il n’était pas bon alors je lui mets une pointe de sucre dedans et là il a bu tout le biberon.
Mais, on m’avait dit que c’était pas bon de leur donner du sucre aux bébés.
Il était pas beau mon bébé, il avait des poils au nez.
J'ai eu des difficultés parce que comme j'avais personne autour de moi pour me dire ce que je devais faire J'ai écouté les uns et les autres, je me suis guidée toute seule, on a voulu que je lui donne la tétée mais mon lait n'était pas bon donc il grossissait pas. Je voulais l'emmener chez le docteur
Le docteur me dit
- on va le mettre au biberon et on va lui donner le modilac parce que c'est le lait qui ressemble le plus à celui de la mère.
Je sors à Oran je vais je vais chercher mon modilac, j'achète la bouteille d'Évian à la pharmacie parce que il y en avait pas et je prends mes biberons et je vais à la maison et je lui prépare le lait. Je le cale bien, mais monsieur il n'aimait pas le lait. Moi je le goûte le lait c'est vrai qu'il était pas bon alors je lui met pointe de sucre dedans et là il a bu tout le biberon.
Mais on m'avait dit que c'était pas bon de leur donner du sucre aux bébés.
Un jour, la femme du Commandant de pépé lui demande
— Et comment il va ce bébé ?
— Il va bien, mais ma femme a des soucis pour le nourrir, le petit ne grossit pas, le lait il ne le veut pas.
— Monsieur Martinez, il y a un pédiatre qui vient d’arriver de métropole, de France, il est formidable.
— Donnez-moi le numéro de téléphone, je vais appeler on va aller le voir.
— Moi je vais l’appeler pour vous.
En ce temps-là, on pouvait pas aller téléphoner quand on le voulait, la femme dit à pépé
— J’attends que mon mari soit au bureau et je descends téléphoner.
— Ça marche.
Et elle a téléphoné, on lui a donné un rendez-vous pour deux jours après.
Il m’emmène avec le petit tout bien habillé. Le docteur était très très expressif, il claque les portes voilà qu’il pousse les chaises et il me dit
— Mais qu’est-ce qu’il a ce petit?
— Ça fait quatre semaines et il a pas pris un gramme. Il n’a pas grossi c’est pas normal et je lui donne le lait, je donne du modilac mais il en veut pas, il faut que je rajoute du sucre.
— Malheureuse! il ne faut pas mettre du sucre.
— Bon ça va. Je voudrais lui donner le biberon pour qu’il continue.
— Oui Madame, mais quel lait vous voulez lui donner?
— Je veux lui donner le Guigoz. Mais docteur, mon petit il a une boule là. Et le docteur qu’on est allé voir m’a dit qu’il a une hernie et qu’il fallait lui mettre une gaine, j’ai couru toute la ville d’Oran et j’ai pas trouvé de petite gaine pour lui.
Il le regarde il le met sur la planche et il masse la petite boule qu’il avait.
— Ça va, ça y est, il n’y a plus de boule. Il avait une testicule qui était restée remontée, tout va bien. Bon, vous pouvez l’habiller. Vous allez lui donner à manger et vous allez lui rajouter trente grammes de viande rouge tous les jours. Avec ses petits légumes que ça fasse à peine une cuillère à soupe.
— Comment je vais faire docteur?
— Débrouillez-vous!
Il m’a répondu sur un ton sec.
— Et vous lui donnez un poireau, une carotte , ou une courgette et trente grammes de viande, pas plus pas jour.
Mais comment je vais faire moi? J’avais pas de mixeur, j’avais rien. On rentre à la maison, j’achète le Guigoz le matin et je lui donne son premier biberon de Guigoz. Il le boit impeccable et je me prépare à lui donner à manger le midi, je l’habille et je m’en vais chez le boucher. Le boucher me connaissait bien
— Alors qu’est-ce que je vous donne aujourd’hui?
— Je ne sais pas, j’ai un problème.
— Quel problème vous avez?
— Le docteur m’a dit hier qu’il faut que je donne au petit trente grammes de viande rouge tous les jours et je ne sais pas comment je vais faire pour le lui faire avaler.
— Ma petite dame. On va arranger ça, et vous qu’est-ce que vous voulez?
J’avais pris des petites côtelettes. Il rentre au fond du magasin et il revient avec un dé à coudre de viande comme ça, il se met dans le coin où il travaille la viande et me le coupe tout petit petit, il coupe et coupe, il me fait ça tout bien. Et il me le colle dans la viande que j’avais achetée, je rentre à la maison. Je coupe mes carottes fines fines fines parce qu’il fallait les écraser aussi à la fourchette. Bon, j’arrive à le faire et après la viande, je peux pas lui donner crue, je vais la mettre dans un coin de la poêle. Je la saisis et je fais une cuillère à soupe comme ça et je prépare un verre d’eau à côté avec une cuillère.
Le docteur m’avait dit qu’il fallait lui donner une cuillère d’eau pour lui faire avaler tout ça. Je commence à lui donner à manger. Je lui donne une toute petite bouchée, il me la rejette, une deuxième, pareille, qu’est-ce que j’ai souffert pour lui donner, j’ai mis une heure trente je crois et j’ai réussi à lui faire avaler ça avec un verre d’eau. Le lendemain ça n’a pas été mieux et le troisième jour, pépé arrive le soir et je lui raconte.
Il en parle à la femme du Commandant.
— Monsieur Martinez, il faut lui mixer la viande au petit!
— Je sais qu’il faut mixer mais je ne peux pas acheter le mixeur.
— Je vais vous acheter le mixeur et à la fin du mois, vous me le paierez.
Bon, il s’en va. Il m’achète un Moulinex. Tu sais, le bol, il était assez costaud, il arrive à la maison avec ça, je lui dis
— Mais pourquoi tu as pris ça, tu sais bien qu’on a pas de sous comment on va faire?
Alors il m’explique que c’est la femme du commandant qui lui a avancé les sous.
Le lendemain, je vais à la boucherie. Je fais comme si rien n’était, je ramène tout à la maison, ce petit bout de viande et ces trois petits légumes, je les mets dans le mixeur mais ça se colle tout en bas du bol, mais enfin, ça avait bien marché sauf qu’il n’y en avait pas assez. Alors, je défais le bol et avec la cuillère, j’ai tout ramassé. Là, j’ai commencé à lui donner et puis il a apprécié, il a commencé à manger à manger à manger.
C’était parti et je l’ai ramené chez le docteur quinze jours après, il avait grossi de huit cent grammes, ça allait bien, il me dit
— Continuez et dans un mois je vous revois je dois lui faire des vaccins, on se revoit et je vous changerai le menu d’accord?
J’ai continué et il a bien grossi, il était beau il était pas gros, il était plein, et puis sa peau elle était belle, impeccable.
Alors après je l’ai amené et il m’a dit
— Vous lui donnez la viande, du jambon et du gruyère. Mais vous donnez un maximum de viande, le jambon et le gruyère de temps en temps. Et vous lui donnez la carotte, la courgette, le poireau, vous rajoutez deux petits haricots verts pas plus et vous continuez comme ça. À dix heures vous lui donnez un jus d’orange à la cuillère et à midi vous lui faites une compote de poire ou de pomme.
Alors je prenais la poire et je la mixais ça me faisait une petite compote comme ça, il me mangeait ça impeccable. Un jour je donnais la pomme et un autre jour, je donnais la poire et l’après-midi je lui donnais un petit-suisse pas plus, où bien des biscuits à la cuillère mouillés avec un petit peu de lait un petit bout de banane écrasée.
Il était magnifique à 3 mois.
J’ai vu la guerre d’Algérie, il y avait des familles qui avaient des enfants de vingt, vingt et un ans, vingt-deux ans qui sont partis au régiment qui faisaient peut-être quinze jours et qui ne connaissaient pas ce que c’était que l’armée et on les envoyait en Algérie. Il y en a qui sont revenus et il y en a qui ne sont pas revenus, peut-être que deux mois, un mois et demi après on les ramenait entre quatre planches.
Parce qu’il n’y avait pas la haine pour l’arabe ou pour l’autre, c’était global tout le monde payait et c’est ce qui est arrivé ici. C’est qu’il y avait ces petits soldats qui ne connaissaient rien et qu’ils mettaient carrément dans les fronts comme ça.
On avait une petite loggia qui donnait face à l’hôpital.
Un jour pépé me dit
— Il faut que je mange, que je prenne la douche car il faut que j’aille à l’hôpital passer ma visite médicale.
Ils avaient une visite régulièrement pour les poumons et ils étaient très suivis. Donc il s’en va à l’hôpital et en attendant que ce soit son tour il se fait la balade dehors. Il passe devant une grande fenêtre et il se trouve avec le corps des petits soldats tous alignés. Et d’autres soldats étaient en train de les laver de leur faire des pansements de tous les habiller pour les expédier en France.
Pépé il est revenu il était blanc, il était blanc.
Alors d’un côté, je les ai compris, j’ai compris qu’ils avaient la haine. C’est pour ça qu’ils nous en voulaient en France. Moi je l’ai toujours dit à pépé que c’était pour ça. Après, il y en a qui oublient et il y en a qui n’oublient pas mais celui qui a perdu un enfant et ils ont perdu beaucoup beaucoup beaucoup d’enfants, des petits soldats qui arrivaient et qui connaissaient rien. On les envoyait directement à la montagne. Moi je l’ai compris comme ça, peut-être que les autres ne les ont pas compris pareil. Bien qu’en Algérie, il y ai eu beaucoup de tueries et des choses terribles terribles terribles.
Et le fait que pépé ne pouvait pas rester tranquille quelque part qu’on changeait d’endroit. On le connaissait sans le connaître. Tu vois, il a fait tous les postes et on le connaissait un petit peu mais pas fixement.
Le dernier arrivant, ils lui disaient toi tu pars pas, tu restes avec nous.
Et lui il disait bien sûr, je reste avec vous ou tu veux que j’aille. Moi je suis très bien ici et deux heures après on prenait la voiture, on dégageait, parce que sinon on le descendait aussi. Ça a été une sale guerre pendant huit ans, on en a bavé.
Et j’avais toujours une trouille, et je le voyais partir, il mettait la clé sous la porte.
Heureusement qu’il rentrait, on l’a vécu parce qu’on était jeune mais quand même. quand même...
Et voilà avec la diplomatie de pépé et bien il a fait ce qu’il a voulu, il a été là où il voulait et ça passait partout.
La seule chose qui l’intéressait c’était sa famille, il est gentil pour le reste du monde et tout le monde le trouve gentil. Si on demandait un service, il était là, s’il pouvait faire quelque chose, il le faisait. Il était diplomate.
Et c’est là qu’un beau jour, on reçoit une lettre du ministère en nous disant, on vous donne onze heures pour partir. Alors, on a mis quatre chiffons dans une valise, on a mis la clé sous la porte, et on est parti. On a tout laissé là-bas.
En juillet 1962 des Européens « pieds-noirs » réfugiés dans le port d’Oran en attente d’embarquer pour la France alors que l’Algérie a proclamé son indépendance depuis le référendum d’autodétermination du 1er juillet 1962
https://www.sudouest.fr/archives/portfolios/histoire-le-19-mars-1962-marque-la-fin-de-la-guerre-d-algerie-1722851.php
PARIS-MATCH
Un reporter de Paris-MatchOran: C’est sur nous qu’ils tirent! par Serge Lentz texte extrait du Paris-Match n°692, du 14 juillet 1962 5 juillet. 11 h
Le sirocco s’est levé, depuis quelques minutes et, bien que nous roulions sur la route de Tlemcen à Oran à plus de 100 à l’heure, l’air qui nous fouette est brûlant. A la sortie d’un petit village écrasé de chaleur, nous sommesarrêtés par deux soldats de l’ALN qui portent des mitraillettes tchèques en travers de la poitrine. Lun d’eux s’approche, entre sa tête dans la voiture et avec un grand sourire nous serre la main à tour de rôle; nous repartons.12h20 -Dans les faubourgs d’Oran, autre barrage. Brusquement, il n’est plus question d’amabilité. Un soldat de l’ALN ouvre ma portière avec violence, et me fait littéralement tourbillonner hors de la voiture. Là, il me pose sa mitraillette sur le ventre pendant qu’un autre me fait lever les bras et me fouille de la tête ( aux pieds. Mon collègue Biot, se fâche: -Enfin, qu’est-ce qui vous prend ? Nous sommes journalistes. Aussitôt, changement d’attitude. La mitraillette s’abaisse: -Il y a eu des coups de feu devant la mairie m’explique le soldat. Il y a beaucoup de blessés et beaucoup de morts; ça tire encore en ce moment. Nous sommes stupéfaits. Je demande: -Oui a tiré ? – C’est l’OAS, bien sûr. Au loin, nous entendons crépiter des coups de feu ponctués d’explosions. . 12h50 -Nous roulons au pas. Notre hôtel n’est qu’à 500 mètres, mais il me semble qu’il nous faudra des heures pour y parvenir. Autour de nous, des soldats musulmans embusqués dans les porches des maisons tirent à l’aveuglette. .12h55 -Nous embouchons le boulevard du 2e Zouaves. Une mitrailleuse lourde se déchaîne, puis une autre. Nous restons paraIysés. Puis, brusquement, je réalise et je me mets à brailler: -Mais, bon sang, c’est sur nous qu’ils tirent! -Marche arrière, crie Biot. La voiture bondit en arrière dans un hurlement de pignons. Nous virons à toute allure, en marche arrière. Je bloque les quatre roues, moteur calé. Nous nous précipitons vers un porche. Tout cela n’a pas duré plus de cinq secondes. Nous n’avons pas le temps de souffler. -Haut les mains ! Nos bras jaillissent vers le ciel. Je crie: -Nous sommes journalistes. Lautre (un ATO à mitraillette) se fige aussitôt et nous exécute un irréprochable «présentez armes».13h -L’ATO est monté sur le capot de la voiture et nous dirige vers le Commissariat central: -Là-bas, vous serez en sécurité, dit-il. En fait, à peine arrivés, nous nous retrouvons tous à plat ventre sous les balles qui viennent d’on ne sait où.13h20- Nous avons trouvé refuge dans une caserne de zouaves… Un cadavre est écroulé devant la porte de la caserne. C’est un musulman que d’autres civils musulmans ont poursuivi jusqu’ici. Avant même que les zouaves aient eu le temps d’intervenir, le malheureux a été abattu d’une balle de revolver, puis achevé à coups de crosse et à coups de couteau. Le corps n’a plus rien d’humain. La tête est à moitié arrachée.14h -A l’abri dans la caserne, nous montons sur la terrasse et, à la jumelle, nous regardons ce qui se passe: les voitures fouillées, les ambulances de la Force locale qui passent, hérissées de mitraillettes. Vers le quartier Saint-Eugène, un vacarme énorme se déclenche. Mortiers, grenades, mitrailleuses lourdes, tout y passe. Une demi-heure plus tard, on tire toujours à Saint-Eugène. De notre côté, les choses semblent calmées. A la jumelle, je vois deux soldats français fouillés par des civils musulmans en armes.
15h -Un capitaine qui commande un détachement de zouaves a réussi à faire libérer les Européens retenus prisonniers par les ATC au Commissariat central.
15h15 -Je vois une longue colonne d’Européens qui remontent la rue, plus de quatre cent. Les visages sont durs, fermés, certains tuméfiés. La colonne est silencieuse. C’est un spectacle poignant. A 15h30, les tirs se sont tus.
17h30 -Les rues sont désertes. Le lendemain, on cherche des explications. Quel est le bilan ? Comment la fusillade a-t-elle démarré ? Sur les causes de la fusillade, il court deux versions différentes. On parle, bien sûr, d’une provocation OAS, mais cela semble peu vraisemblable. Il n’y a plus de commandos, ou presque, parmi les Européens qui sontdemeurés à Oran… On parle aussi de règlements de comptes politiques entre musulmans. Or, on raconte en ville que, durant la nuit du 5 au 6, nombre de musulmans ont été collés au mur en ville arabe et fusillés. On ajoute que parmi eux, il n’y avait pas que des pillards. Ceci tendrait donc à confirmer la thèse du règlement de comptes. Peut-être s’agit-il tout simplement d’un coup de feu lâché par inadvertance ou par enthousiasme par l’un de ces nombreux jeunes musulmans qui étaient descendus en ville avec un revolver passé dans la ceinture ? Déjà au soir du 1 er juillet, on dénombrait un grand nombre de morts et de blessés en ville musulmane, morts et blessés simplement victimes de fantasias.
Ce qui est certain, c’est que cette fusillade fut le résultat d’une crise d’hystérie collective durant laquelle les coups de feu partirent dans tous les sens. Un autre élément est le fait que quinze cadavres européens qui se trouvent à l’hôpital civil d’Oran, treize ne portent pas de blessures par balle, mais ont bien été tués à coups de couteau. Quant au bilan des morts et des blessés, on ne saura jamais avec certitude ce qu’il en a été. Les victimes musulmanes furent immédiatement emportées en ville arabe et, comme le Coran le prescrit, enterrées le jour même; il est demeuré impossible de faire un dénombrement exact des victimes…
NDLR. Si les coups de feu peuvent être le signe indéniable de tirs contre des maisons ou des véhicules ou d’exécutions d’Européens, les bruits d’armes lourdes, comme mortiers ou mitrailleuse, cités par plusieurs témoignages, concernent autre chose… On sait que des postes de garde de l’armée française, comme celui de la gare, ont riposté à des attaques de la part de quelques musulmans; on n’a pas de témoignages qu’ils aient utilisé des armes lourdes, dont ils n’étaient pas munis. S’il y a eu des règlements de comptes entre factions de l’ALN, ou entre l’ALN et des bandes incontrôlées, les autorités algériennes se sont bien gardées d’en faire le commentaire…
l’agonie d’Oran tome II, pages 147 à 149
http://mdame.unblog.fr/2010/08/09/le-5-juillet-1962-article-de-paris-match-n692-du-14-juillet-1962/
On a sauvé le vélo de ton père, on a pris la voiture et on est parti à Alger. À Alger, on nous a prêté un appartement pour passer la nuit et le lendemain c’était le 4 juillet 1962. C’était l’indépendance.
Du balcon d’où on était, on voyait une marée d’arabes qui descendait la rue. Une chose inimaginable, on aurait dit une rivière et nous, il fallait qu’on aille au port.
— Par où va t’on passer? comment va t’on pouvoir faire?
Moi, j’avais Richard vingt deux mois dans les bras, et pépé, il avait une petite valise et tenait ton père par la main et on a glissé le long du mur. On avait notre bateau l’après-midi même . En arrivant au port je me suis dit que maintenant nous étions sauvés. Pépé va se renseigner pour le départ et me dit
— Notre bateau ne repart pas car il est réquisitionné pour autre chose.
http://algerazur.canalblog.com/archives/2017/06/28/35426054.html
Ils attendaient là, assis sur des caisses, entourés de vieilles valises, de ballots, de couffins, quelquefois de petits cadres de bois faits à la main, étouffants dans la chaleur de l’été, espérant un signe, un ordre de dernière minute, quelqu’un qui leur dirait : « Embarquez ! ».
De Gaulle avait donné l’ordre au gouvernement français de ne pas utiliser les navires de guerre pour abréger leur attente et, sur son ordre, le gouvernement avait refusé l’offre de compagnies de navigation étrangères qui souhaitaient apporter leur aide.
Il était allé bien plus loin en demandant aux compagnies de navigation, la Transat, la Compagnie de Navigation Mixte et la Société Générale des Transports Maritimes, de réduire le nombre de rotations hebdomadaires (il y en eut 16 en février, 7 en mars et seulement 3 en avril) afin de ralentir le rapatriement et d’empêcher une arrivée massive de Français d’Algérie.
Les vols d’Air France et Air Algérie étaient également réduits de moitié. Cette politique d’abandon, totalement programmée par le chef de l’État, a coûté des centaines de vies humaines.
Peu lui importait qu’ils soient massacrés sur place, sur les quais.
Fort heureusement et très courageusement, contre les ordres reçus, les commandants de quelques bateaux acceptèrent beaucoup plus de passagers que la limite maximale autorisée. Ainsi le « Jean Laborde» des Messageries Maritimes quittait les quais d’Oran en direction de Marseille avec 1 430 passagers au lieu des 420 autorisés.
Ce fut le cas dans tous les ports d’Algérie avec les « Ville de Bordeaux», « Ville de Tunis», « El Djezair » et surtout le « Kairouan » qui battait tous les records avec plus de 1 900 passagers sur une capacité de 1 172 places.
Le « Cambodge » avait lui une capacité de 440 passagers. Alors qu’une fusillade éclatait sur les quais, faisant plusieurs victimes, le capitaine permettait à 1 233 personnes d’embarquer.
Le « Lafayette » en avait pris 1 200 et le « Kairouan » 2 200.
Les commandants et les équipages de ces bateaux ont eu une conduite exemplaire et patriote, contre les ordres du gouvernement et du chef de l’État et ils ont sauvé des centaines de vies humaines.
Alors que la France abandonnait à la furie sanguinaire du FLN et de l’ALN des milliers de citoyens français, l’Espagne envoyait plusieurs navires civils et deux navires de guerre pour aider le départ des Oranais (il est vrai qu’en 1962 les Martinez, Gomez, Fernandez, Lopez et autres Segura n’étaient que des Français…d’origine espagnole. Ce qui n’était pas le cas lorsqu’ils versaient leur sang pour libérer la France lors des première et seconde guerres mondiales).
Le 27 juin, deux navires de guerre espagnols se présentaient à l’entrée du port d’Oran dans le but de transporter le maximum de Français d’origine espagnole vers la péninsule ainsi que les derniers partisans de l’OAS.
Le général Katz, responsable militaire, sur ordre du gouvernement français, leur interdisait de pénétrer dans le port sous le prétexte absurde « que l’on n’avait pas besoin d’eux ».
Ces deux navires de guerre ont récupéré plus d’un millier de personnes qui avaient réussi à se rendre « par leur propre moyen » à la limite des eaux territoriales.
Des CRS ont voulu monter à bord afin de contrôler les identités mais les capitaines de ces deux navires de guerre leur en ont interdit l’accès : « Vous êtes ici en territoire espagnol ! »
Plusieurs centaines d’Oranais n’ont pas eu la chance de quitter leur ville entre ce 27 juin et le 5 juillet 1962 et ils furent massacrés dans des circonstances abominables.
L’Algérie française c’était fini, de Gaulle l’avait finalement liquidé mais dans quelles conditions ?
Voici l’appréciation que l’ancien ministre résidant de l’Algérie, Robert Lacoste, gouverneur général jusqu’au 13 mai 1958 et député socialiste, donc pas très favorable à la colonisation, a porté sur de Gaulle : « De Gaulle a fini la guerre d’Algérie comme un charcutier ».
Il estimait donc, à juste titre d’ailleurs, que de Gaulle avait du sang sur les mains.
C’est en tous les cas l’interprétation que je me fais de sa déclaration.
Il est vrai qu’il aurait pu tout aussi bien dire : « comme un boucher ». Cela aurait été plus approprié !
Manuel Gomez
PS : Le mardi 17 juillet 1962, 3 400 personnes, qui attendaient sur les quais depuis dix jours, avaient pu enfin embarquer et échapper ainsi à un massacre certain.
Finalement, il y a un bateau, un bananier, qui prenait des passagers parce qu’il était vide et il venait pour charger les bananes.
Ils ont accepté que nous montions. Ils nous ont entassés dans la cale où ils mettaient les bananes. Il y avait tous les policiers. Il y avait des enfants, des belles-mères, des jeunes, des vieux, tous là-bas bloqués dans cette cale. Richard perçait les canines, il avait une fièvre le pauvre, il était malade.
Après ils se sont rendus compte de la situation dans laquelle on était et ils nous ont donné une chaise longue par famille. Alors j’avais Jean-Claude là contre moi et le petit au pied, et pépé était assis par terre et sa tête contre mon dos, on a pu dormir comme ça.
Le soir, je lui ai dit
— On n’a pas donné à manger aux enfants, mais rien du tout, on était parti sans rien. On va monter au restaurant du bateau.
— Ok ça va, on y monte.
Au restaurant on nous demande combien nous sommes.
— On est deux puis les enfants.
— Vous, vous pouvez rester mais les enfants non.
On est redescendu dans la cale,
— Qu’est-ce que je donne à manger à mes petits?
J’avais rien à leur donner. Alors il y avait une des femmes qui avait prévu peut-être mieux que moi, parce que j’avais rien prévu, elle m’a donné un petit paquet de biscuits et une autre un demi paquet de biscottes, elles nous ont fait cadeau.
Du matin, à l’après-midi jusqu’au lendemain matin on est resté sur la bateau, lorsqu’on est descendu, on est passé à la fouille.
Une femme et ses enfants viennent de débarquer du « Ville d’Oran » à Marseille le 26 mai 1962 comme de nombreux réfugiés notamment des Européens d’Algérie (pieds noirs) et des familles de harkis qui continuent d’affluer vers la France depuis la signature des accords d’Évian.
ttps://www.sudouest.fr/archives/portfolios/histoire-le-19-mars-1962-marque-la-fin-de-la-guerre-d-algerie-1722851.php
Richard n’arrivait pas à marcher parce qu’il avait ses chaussettes toutes mouillées dans ses petites Baby bottes.
J’ai dit à pépé,
— J’ai pas de chaussettes. Regarde le petit il n’arrive pas à marcher, on va aller à la mercerie là, je vais lui prendre une petite paire de chaussettes.
Je rentre
— Oui Madame qu’est-ce que vous voulez?
— Je voudrai une petite paire de chaussettes pour mon petit, si vous avez du blanc c’est parfait.
— Je n’ai pas du blanc.
Elle me répond sèchement. Alors tu sais pépé, il avait une façon de me regarder qui me disait par les yeux, accepte mais ne dis rien. Et pépé me dit
— Prends lui n’importe quelle couleur, demain, tu retournes voir la dame et tu prendras du blanc.
Je lui ai donc pris une paire de petites chaussettes rouges, mais moi j’aimais bien les habiller de la tête aux pieds en blanc.
Bon je lui mets les chaussettes à ses petits pieds. On descend la voiture du bateau. Et on remonte Marseille. Et notre voiture tombe en panne.
— Mais qu’est-ce qu’elle a la voiture ?
Ils nous avaient mis de l’eau de mer dans le réservoir.
— Mais pourquoi est-ce qu’ils avaient mis de l’eau de mer dans le réservoir?
— Et bien parce qu’ils sont mauvais ils sont méchants, me répond pépé.
On était des Algériens qui habitaient là-bas pour eux.
Heureusement qu’on était pas tellement loin d’un garage.
Ils ont pompé l’eau et ils ont tout nettoyé le moteur, on a mis le gasoil et on est reparti. J’avais un peu d’économie, j’ai toujours fait la petite fourmi, tu mets un sous de coté puis un autre.
On n’en voyait pas la fin de cette route pour aller à Saint-Étienne. On arrive en haut du boulevard de la République. De là, on voit les lumières de la ville. On arrive en pleine ville, je lui ai dit
— Maintenant il faut trouver où on va dormir.
.
On arrive dans un petit hôtel, on rentre et on demande
— On voudrait une petite chambre pour dormir .
— Combien vous êtes?
— On est deux puis les enfants, vous n’auriez pas une chambre à deux lits?
— Non, j’ai une chambre à un lit.
— Ça fait rien. On la prend.
Et là, la dame nous dit
— Attention. Vous n’avez pas le droit de laver des affaires, de vous chauffer, il faut faire ci mais pas faire çà.
Tout était interdit. On a tout accepté, mais mes enfants depuis la veille, je les ai même pas lavés, j’ai même pas lavé les mains, les fesses et la figure, je me suis demandée comment j‘allais faire.
On est monté dans la chambre, il y avait un petit lavabo et un tout petit bidé et là j’ai pu les laver, je les ai mis en pyjama.
— Qu’est-ce qu’on leur donne à manger maintenant? Qu’est-ce qu’on leur donne à ces petits?
Pépé est descendu dans un bar, je ne sais pas comment il a fait, il a récupéré une bouteille de lait tiède et j’ai pu leur donner.
Ils se sont endormis avec un verre de lait. Je les ai couchés, pépé d’un côté moi de l’autre et les deux petits au milieu.
On était tellement fatigué qu’on a pas vu passer la nuit.
Le lendemain matin, on se lève, même problème, il me dit
— Écoute habilles-toi, habilles les enfants, je vais faire un tour et je vais voir ce que je peux trouver.
"Qu'ils aillent se réadapter ailleurs." Cette phrase, prononcée en juillet 1962 par Gaston Defferre à propos des rapatriés d'Algérie, les pieds-noirs ne l'ont pas oubliée. Cinquante ans plus tard, ils continuent de vouer une rancune tenace à l'ancien maire de Marseille. Extraite d'une interview donnée à « Paris-Presse », puis reprise en une du quotidien local « Le Méridional », cette déclaration peut surprendre aujourd'hui par sa virulence. Mais, en cet été qui voit transiter par sa ville plusieurs centaines de milliers de Français d'Algérie, Gaston Defferre ne fait que relayer l'opinion de la plupart de ses administrés. Car, depuis le mois de juin 1962, le port phocéen étouffe littéralement sous l'afflux des rapatriés d'Algérie. Au point d'en oublier sa tradition d'accueil, qui, au fi l du siècle, avait notamment permis l'intégration des émigrés arméniens, puis des rapatriés d'Indochine, enfin de ceux du Maroc et de Tunisie.
En 1962, les enjeux démographiques sont, il est vrai, d'une tout autre ampleur : principal point d'arrivée sur le territoire métropolitain pour les Français d'Algérie, qui débarquent à la Joliette ou atterrissent à Marignane, Marseille n'a pas anticipé l'ampleur de l'exode. Après la signature, le 18 mars, des accords d'Evian mettant fi n à la guerre d'Algérie, le gouvernement français lui-même n'a-t-il pas prédit tout au plus 100 000 arrivées au cours de l'année ? Au printemps, la grande peur des Français d'Algérie, dont la sécurité est violemment remise en cause sur leur terre natale en dépit des clauses d'Evian, aura vite raison de ces prévisions. Ce sont finalement 700 000 « pieds-noirs » - le surnom méprisant que leur donnent les métropolitains depuis le déclenchement de la guerre d'Algérie - qui gagneront la métropole au cours de l'année 1962 ; parmi eux, 450 000 environ arrivent à Marseille. Face à cette marée humaine, les pouvoirs publics sont réduits à l'improvisation, pour ne pas dire l'impuissance.
Des autorités dépassées
Début juin, alors que, chaque jour, plusieurs paquebots - quand ce ne sont pas des cargos, des pinardiers ou des chalutiers - débarquent des milliers de réfugiés, le centre d'accueil établi à leur intention ne compte ainsi que huit employés. Devant ses locaux, d'abord installés rue Breteuil avant d'être déménagés dans un immeuble réquisitionné sur le cours Pierre-Puget, les fi les d'attente finissent très vite par bloquer la circulation. La délégation régionale des rapatriés de Marseille, dépendant du secrétariat d'Etat des Rapatriés alors dirigé par Robert Boulin, n'a par ailleurs prévu, au tout dernier moment, que deux centres de transit : l'hôtel Bompard, à Endoume, et la cité HLM de la Rouguière, réquisitionnée alors que sa construction n'est pas entièrement achevée. Dans les appartements qui n'ont pas encore de portes, sur des lits de camp fournis par l'armée, on ne pourra cependant entasser plus de 3 000 personnes à la fois.
« Au total, seuls 90 000 rapatriés, sur les 450 000 qui ont débarqué à Marseille en 1962, ont pu être pris en charge par les autorités, souligne l'historien marseillais Jean- Jacques Jordi, qui est le meilleur spécialiste de l'histoire des rapatriés d'Algérie (lire p. IX). Les autres ont été contraints de se débrouiller par eux-mêmes, et d'aller à l'hôtel, même si certains ont aussi pu compter sur la solidarité des associations. »
Pour suppléer des autorités débordées, a en effet été créé, dès le mois de mars 1962, un « Comité de liaison des organismes participant à l'aide aux Français rapatriés d'outre-mer », présidé par un ancien président de la chambre de commerce de Marseille, Emile Régis. Réunissant notamment des bénévoles du Secours catholique, de l'Accueil protestant ou du Fonds social juif unifié, et coordonnant les aides spontanées des Marseillais, il propose au moins autant de lits que la délégation régionale, soit 3 000 environ, répartis entre une quarantaine de centres ; le Secours catholique gère également une pouponnière sur le port, ainsi qu'une garderie à la gare Saint-Charles.
L'hostilité des dockers, des chauffeurs de taxi...
Certains Marseillais témoignent donc leur solidarité aux rapatriés. Mais ils restent minoritaires. Au sein du Comité de liaison, les syndicats brillent ainsi par leur absence. Et notamment la CGT, alors toute-puissante à Marseille. « Les communistes ont d'emblée affiché une forte hostilité à l'égard des rapatriés d'Algérie, collectivement accusés d'être autant de gros capitalistes, de racistes qui avaient fait «suer le burnous», et méritaient ce qui leur arrivait », explique Jean-Jacques Jordi. Sur le port, à l'été 1962, les dockers, tous encartés CGT, ont ainsi peint sur des banderoles des messages de bienvenue tels que « Pieds-noirs, rentrez chez vous » ou « Les pieds-noirs à la mer ». Débarquant des milliers de caisses contenant du mobilier et d'autres biens en provenance d'Algérie, les employés du port en dérobent près du quart, et laissent pourrir dans l'eau une bonne partie du reste, détruisant ce qui constitue à leurs yeux une opulence bien mal acquise.
Mais les militants communistes n'ont pas le monopole des mauvaises pratiques enregistrées à l'encontre des rapatriés en cette année 1962. Les taxis, qui se pressent aux abords du port et de l'aéroport, augmentent ainsi leurs tarifs de façon abusive. C'est aussi le cas de nombreux hôteliers, dont les établissements ne désemplissent pas : fi n juillet, il ne reste à Marseille qu'une cinquantaine de chambres disponibles, sur les 12 500 que compte alors la ville. Pour les pieds-noirs, qui en occupent la plupart, les tarifs ont souvent doublé, voire triplé, par rapport aux mois précédents. De même, bien des agences immobilières augmentent les prix des locations ; certaines vont jusqu'à faire payer le pas-de-porte aux nouveaux arrivants, quand elles ne refusent pas tout simplement de louer aux pieds-noirs.
Face à cet accueil plus qu'hostile, ces derniers tentent de s'organiser : chaque jour, des centaines d'entre eux se retrouvent place de la Bourse - devenue en 1970 la place du Général-de-Gaulle -, où deux bars sont alors tenus par des rapatriés d'Algérie. On échange des informations, on trouve parfois un emploi, un logement. Du matin au soir, la place ne désemplit pas, et des heurts interviennent à l'occasion avec des chauffeurs de taxi, qui estiment qu'on les empêche de circuler et de travailler. Le 18 juillet, dans la soirée, ce QG improvisé de la communauté rapatriée fait même l'objet d'un vaste coup de fi let policier : des centaines de pieds-noirs présents sur la place sont interpellés par les forces de l'ordre, et emmenés à l'hôtel de police pour une vérification d'identité, avant d'être rapidement relâchés.
La police marseillaise elle-même a en effet fini par développer des sentiments peu amicaux à l'encontre des rapatriés d'Algérie. Il faut dire qu'avec leur arrivée, la criminalité a explosé dans la ville. Au cours de l'été, plusieurs fusillades opposent les forces de l'ordre à des « gangsters » venus d'Algérie, rapporte la presse ; dans la seule journée du 28 juin, huit hold-up ont lieu à Marseille, les malfaiteurs se réclamant systématiquement de l'OAS. En réalité, il s'agit d'autant de vols purement crapuleux, dus aux membres de la pègre d'Alger et d'Oran, elle aussi rapatriée à Marseille. Mais le climat se prête aux amalgames : déjà « racistes » et « profiteurs », les pieds-noirs deviennent aussi des « voleurs ».
Il fallait quitter l’hôtel. J’habille mes petits comme je pouvais parce que j’avais rien prévu. Pépé rentre et me dit
— Ça y est, j’ai trouvé quelque chose, figure-toi que le capitaine ou le commandant de la caserne à coté nous propose de prendre l’infirmerie parce que les militaires ne sont pas là depuis un bon moment.
On a plié bagage, on a pris la voiture, et on est allé à la caserne. On a pris une chambre énorme avec quatre petits lits. On pose nos petits bagages là et on descend vite chercher un petit peu à manger, un balai et une serpillière.
Elle était propre cette chambre, on voyait que c’était fermé depuis un moment, il y avait les matelas, les couvertures, tout était plié. J’achète deux, trois bricoles qu’on puisse mettre sur le dos et j’achète un petit fourneau électrique et une casserole. Enfin rien, on rentre, je nettoie bien, je mets les deux petits lits des gosses ensemble, il n’y avait pas de drap ,il n’y avait rien enfin, ce n’était pas sale.
Et puis les nôtres, on va les coller comme ça tout propres, on leur donne à manger un petit peu. Nous, on mange un petit peu et je les couche à la sieste. Ils ont fait une sieste formidable. Nous on s’est reposé un petit peu, et l’après-midi. J’ai lui ai dit à pépé
—On va descendre.
J’ai acheté quatre petits draps et d’autres bricoles encore, on savait pas combien de temps on allait rester là-bas.
Il ne faisait pas froid au mois d’août à Saint-Étienne, je prépare tout dans un coin, je fais un petit coin vaisselle et sur la fenêtre, je mettais ce que j’avais comme nourriture. Enfin, je me débrouillais bien. Et toutes les femmes qu’on était, on avait nettoyé le grand couloir, les WC, mais je t’assure c’était pas sale.
On a nettoyé les éviers qu’on avait, les douches, on a tout nettoyé. Parce qu’on se disait que si les petits voulaient sortir dans le couloir pour s’amuser, il fallait que ce soit propre. On était je ne sais pas combien de femmes de policiers et il y en avait qui avaient emmenées leurs parents avec eux.
Je crois qu’on est resté à peu près un mois là-bas. Un jour pépé rentre et me dit
— Tu sais je viens de la préfecture de Saint-Étienne et l’assistante sociale m’a dit qu’elle avait un appartement tout neuf à nous proposer mais il est à quarante kilomètres de mon travail.
— Oui bien sûr, on s’en va.
Mais je me suis vue toute seule, les quarante kilomètres, et l’hiver qui arrivait.
On le prend l’appartement tout neuf. Les sols étaient en réflexe, c’était gris bleu. Et la cuisine, elle était jolie avec des tomettes rouges, la salle de bain pareil, le couloir pareil, mais une merveille et le chauffage par terre, on n’avait besoin de rien.
Bon, on arrive avec une ou deux bricoles. On descend à Saint-Étienne et on va voir le marchand de meubles là-bas et on va acheter ce qu’il nous faut. Alors, je prends deux petits sommiers, deux matelas, deux traversins pour eux, le gros matelas et le sommier pour nous, une table, quatre chaises, un petit buffet, la gazinière et un petit frigo. Pour dormir et manger c’était impeccable.
On a expliqué la situation au marchand, il nous dit
— Ne vous en faites pas, on vous livre tout de suite.
J’avais de la chance d’avoir de l’argent liquide, je leur avais tout payé en liquide. Ils m’ont livré ici, ils sont venus derrière la cour. Ils ont tout installé ma cuisine tout bien, mon frigo.
Le lit de mes petits était prêt, j’avais mis les draps du lit, ils étaient tous beaux.
Je voulais qu’ils soient propres qu’ils soient bien, après j’ai fait mon lit dans notre chambre. On était comme des rois dans ce petit appartement et pépé me dit
— Tu sais tu pourrais monter Jean-Claude à l’école.
Il fallait monter un kilomètre et demi pour aller à l’école il avait déjà quatre ans et demi, on l’inscrit à l’école, et la femme me dit
— Le petit vous voulez pas qu’il reste?
— Mais c’est qu il est petit !
— Ça ne fait rien. On le prend.
Mais Richard était tellement petit qu’il se faisait pipi, il ne se rendait pas compte. L’après-midi, je vais le chercher, il était mouillé. Le pantalon tout mouillé. Le lendemain j’ai dit à pépé
— Moi je mets Jean-Claude à l’école mais pas Richard.
Il venait d’avoir deux ans, il était trop petit alors, je garde et Richard et j’emmène et Jean-Claude.
Un jour, je vois que Richard n’arrive plus à marcher avec ses chaussures. Elles étaient trop petites.
— Je n’ai pas de repos maintenant, mais dès que je le peux je t’emmène à Saint-Étienne et tu prends les souliers d’accord?
On voyait que Richard boitait mais il ne se plaignait pas. Il était gros, il était beau, et il faisait toutes les conneries que ton père faisait.
On monte à Saint-Galmier au marché, il faisait froid. Il y avait eu la neige. On monte avec la poussette. On est passé au marché voir si on trouvait quelque chose pour manger d’agréable et on passe devant un marchand de soulier. Pépé me dit
— Tiens voilà le marchand de souliers regarde s’il y a quelque chose pour Richard.
Je rentre là-dedans, une dame me dit
— Qu’est-ce que vous voulez? elle était gentille,
— Je veux des Baby bottes pour le petit.
— Mais c’est l’hiver. j’en ai pas.
Et en plus, je lui ai demandé des Baby-bottes blanches.
— Mais madame on est en hiver! Attendez, je vais vous trouver quelque chose de bien.
Elle me sort une petite botte avec le bord bien bien large et une espèce de fourrure de chèvre, des petites bottes jolies et encore une autre petite botte en cuir marron fine jolie aussi. La dame prend Richard dans ses bras et le monte sur le comptoir là, et elle lui met les grosses bottes. Elle lui attache et elle lui dit
— Allez mon poulet va voir comment tu marches. Et Richard a commencé à faire le tour du magasin, il s’est vu ces petits doigts de pieds qui étaient bien dedans. Et moi je lui dis
— Viens on va essayer les autres.
Richard se met de dos devant la porte et il n’y avait plus moyens de le faire rentrer. Alors pépé me regarde et me dit elles sont vilaines les autres bottes, laisse-le, il se sent bien avec celles là. Et on descend à la maison et je dis à pépé, que je vais donner à manger aux enfants et qu’après on mange tranquillement. Je donne à manger à ton père, il se couchait et des fois, il s’endormait des fois il ne s’endormait pas, il jouait avec n’importe quoi. Mais il était couché, il était sage. Je vais pour coucher Richard et lui enlever les souliers et là, rien à faire, il ne voulait pas que je lui enlève.
— Écoute je t’enlève les souliers et je les mets à côté de toi, elles vont faire dodo à côté de toi.
Il me regarde pas tellement rassuré alors je le couche je lui mets sa couverture et je lui dis
— Regarde les souliers sont à côté de toi je couvre les souliers.
Et là, il s’est endormi comme une masse. Il n’avait jamais aussi bien dormi que depuis que nous étions partis d’Algérie.
Remerciements
Je tenais d’abord à dire merci à mes enfants, à Coline et Eliott, eux qui m’ont vu rédiger ce petit livre. Un matin je les ai retrouvés tous les deux qui regardaient mon ordinateur et qui lisaient le récit de notre mémé Lili. J’ai compris alors que mon projet avait du sens et qu’il fallait que je persévère.
Je souhaitais remercier Monique, Momo pour les intimes, belle-mère, voisine et amie qui chaque matin autour d’un café m’encourage dans mes projets les plus fous, aide précieuse, elle sait faire des retours critiques et toujours constructifs et m’aide à envisager les questionnements sous plusieurs angles. Merci pour ton regard, ton écoute et ta bienveillance.
Merci à Florent, mon compagnon de vie, au sens critique acerbe. Merci de m’écouter parler jours et nuits de tous mes projets, merci de ne jamais me reprocher le temps que j’y consacre. Merci de me rendre sereine par ton affection constante, merci de me laisser libre de créer suivant mon imagination.
Merci à Ariane, mon amie de toujours, ma muse. Merci pour ton soutien, nos discussions m’apportent toujours de la confiance en moi, ingrédient indispensable pour aller au bout de mes projets.
Merci à Mathilde, la confiance que tu me témoignes dans mes démarches artistiques, ton regard de plasticienne sur ce projet, et l’affection que tu me portes me comblent et me poussent à être meilleure chaque jour.
Merci à Florence et Paul qui ont lu le 1er brouillon de ce livre. Grâce à vos retours positifs j’ai eu le courage de le terminer et de le montrer.
Merci à Monsieur Basin, père d’un de mes anciens élèves. Alors que seulement deux chapitres venaient d’être rédigés, il y a eu un moment ou se présentaient deux choix, celui de continuer ou celui de tout arrêter. Timéo vous l’a montré, et la réaction de vous qu’il m’a décrite m’a donnée chaud au cœur. Mes doutes se sont presque tous dissipés et j’ai continué sans plus vraiment me poser de questions.
Merci à mon père, pour tout l’amour qu’il a pour nous et pour cette confiance qu’il a en moi. C’est avec son autorisation que j’ai pu oser interroger ma grand-mère sur son passé, sur son histoire, sur celle de pépé. Je me sens toujours un peu « extraordinaire » lorsqu’il me regarde.
Merci à ma mère, pour son avis, ses craintes qui reflètent les miennes, sa douceur dans ses propos, ses encouragements lorsque j’ai envie de tout laisser tomber, son nid qui m’accueille avec mes petits lorsque je veux me cacher, lorsque la vie est un peu rude. Avec une pensée particulière pour Jean-Pierre bien sûr.
Merci à mes cousins Antony et Rémi et mes cousines Caroline, Camille, Manu et Fiona. Pas forcément pour une aide sur cette rédaction où dans ma vie d’aujourd’hui, mais bien pour mes souvenirs d’enfance et pour cet Amour que je perçois et que je ressens lorsque je vous regarde. Je ne peux pas m’empêcher de voir pépé à travers vous tous, dans les gestes de tendresse que vous donnez aux enfants, dans les blagues qui fusent souvent. Je n’ai aucun doute sur le fait que vous saurez lire cette histoire à vos petits et aux petits de vos petits, avec le ton s’il vous plaît !
Merci à Nina, qui sait garder un secret et qui était présente cet après-midi-là lorsque mémé m’a raconté toutes ces histoires. Je sais que tu aurais aimé rester avec moi toute l’après-midi pour l’écouter.
Merci à ma sœur Sandrine, je n’ai pas osé te parler de ce projet, je n’ai pas voulu t’y impliquer, c’était un peu égoïste de ma part, mais j’ai tellement peur de ton retour ! Cette peur n’est pas un frein pour moi, c’est au contraire ce qui me pousse à me dépasser à aller toujours plus loin dans ma démarche artistique, au bout de mes idées et de mes projets et parce-que c’est et ce sera toujours ton regard qui m’importera le plus, toujours, ton approbation. J’espère avoir bien fait, j’espère que ce petit livre va te plaire, j’espère que mon projet va te séduire.
Rossignol de mes Amours, la pièce chorégraphique
Lelabodart se lance enfin! Le collectif est officialisé, les recherches et sources d'inspirations sont réalisées, les danseurs se rendent disponibles et accordent le temps de travail et de recherche sur le mouvement nécessaire à la création artistique. Le livret prend forme, les 1eres vidéos se réalisent doucement.
Si vous souhaitez participer à ce projet, si vous souhaitez nous aider à aller au bout de la démarche artistique, suivez avec nous le livret de création de la pièce chorégraphique et donnez nous un petit coup de pouce, une petite participation afin de financer la scénographie, les décors, les costumes, les déplacements, la musique et peut être, si vous croyez en nous, alors ce beau Rossignol chantera sur scène et nous pourrons encore et toujours danser en son honneur.