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Une église comme salle de spectacle. Une église en label artistique. Voilà comment la Judson Church, située à Washington Square, à New York, s’est faufilée dans l’histoire de l’art le 6 juillet 1962. Sans le savoir d’abord – il s’agissait de simples ateliers de danse dirigés par le chorégraphe et musicien Robert Dunn – ; en l’assumant ensuite – au gré de soirées de performances de plus en plus fréquentées jusqu’au milieu des années 1960 – pour devenir le Judson Dance Theater.
Dans le noyau dur de ce qui va devenir un collectif contestataire de premier plan : les danseurs Trisha Brown, Lucinda Childs, David Gordon, Simone Forti, Deborah Hay, Steve Paxton, Yvonne Rainer… « Après deux années passées à travailler, entre 1960 et 1962, nous avions créé une variété de danses, se souvient Steve Paxton, figure du groupe et maître en improvisation. Nous avons donc décidé de les présenter dans le cadre d’un rendu d’atelier à la Judson Church. Et cela a continué pendant plusieurs années. »
Ces débuts spontanés et modestes basculent dans le manifeste esthétique. Le Judson Dance Theater, qui rassemblera musiciens, cinéastes, plasticiens, deviendra le porte-étendard du mouvement postmoderne. Ses injonctions : rejet des conventions spectaculaires, revendication de l’expérimentation à travers l’improvisation. Ces artistes se dressent contre la virtuosité, les formes reproductibles, la hiérarchie danseur-chorégraphe. Ils prônent l’expérience de soi, le processus, le quotidien… Sous l’influence de la chorégraphe californienne Anna Halprin, qui mène dès les années 1950 à San Francisco une recherche sur la notion de « tâches » comme, par exemple, balayer, les actions fondamentales, comme marcher, s’asseoir, deviennent des tremplins de recherche.
« Utiliser une idée déjà vue était combattu »
« Nous n’avions pas automatiquement de grands objectifs précis, commentait Paxton, amusé, en 2014. Nous nous demandions simplement, mais qu’est-ce qu’on va bien pouvoir faire aujourd’hui ? » Il ajoute, plus sérieusement : « L’originalité de la structure de ce que nous proposions était importante. L’atelier de Robert Dunn travaillait spécifiquement les compositions de John Cage, ce qui explique la forte influence de l’invention structurale. Au-delà de ça, il y avait peut-être aussi une éthique de création personnelle et authentique. Utiliser une idée déjà vue était combattu. »
Parmi les performances historiques du Judson Dance Theater, il faut citer la première soirée du 6 juillet d’une durée de plus de trois heures. Certains interprètes comme Paxton avaient préalablement auditionné pour avoir l’autorisation de danser dans l’église. Au programme : projections de films d’Elaine Summers et de W. C. Fields, des solos de Steve Paxton, David Gordon, Yvonne Rainer… Trois cents personnes assises, pas d’entracte, 35 degrés dans la salle…
« Nous avions eu du mal à décider du programme à coups de multiples parlotes, où Bob Dunn tenait avec sang-froid la barre d’un navire parfois surchauffé, se souvient Yvonne Rainer, dans le livre Terpsichore en baskets, de Sally Banes. A la fin, nous avions atteint un extraordinaire degré d’exultation. Outre l’enthousiasme du public, l’église semblait une bonne solution de rechange à la location, une fois par an, d’une salle pour se produire, système empoisonnant pour le danseur moderne fauché. Dans ce lieu, nous pouvions nous présenter plus souvent, de manière plus informelle, à moindres frais, et d’une manière plus coopérative, ce qui était le point le plus important. »
Esprit démocratique
Si la Judson Church reste la plate-forme la plus repérée du collectif, elle est parfois mise en concurrence. La « Dream Team », de plus en plus grosse – le plasticien Robert Rauschenberg en devient membre en 1963, jonglant entre les rôles d’éclairagiste et même de danseur – se produit aussi dans d’autres endroits. La soirée « glorieuse », selon Steve Paxton, d’America on Wheels (1963), d’une durée de quatre heures et quinze minutes, eut lieu sur une piste de patinage à roulettes, à Washington DC. Quant à Open Score (1966), de Rauschenberg, dans laquelle le traitement du son des balles de tennis contre les raquettes était amplifié (avec Paxton au mixage), elle fut présentée à l’Armory, à New York.
La règle du jeu entre les participants est précise. « Bien sûr, il y avait des considérations pratiques à préciser comme la date, le planning, les lumières et le son, et même dans une certaine mesure les pièces que l’on choisissait de montrer, raconte Steve Paxton. Tout était réglé par The Quaker Method, au gré de laquelle chaque commentaire était entendu et si possible pris en compte. » Esprit démocratique que le succès va en partie exploser, le groupe initial s’éparpillant dès la fin de l’année 1963, selon Sally Banes. Même si des performances des uns et des autres continueront à être programmées jusqu’en 1966. « J’admirais certains artistes mais j’en trouvais d’autres fatigants, reconnaît Paxton. Mais comme notre méthode évitait tout jugement et cherchait d’abord à accommoder tout le monde… Loin du Judson, j’ai ensuite produit des performances plus choisies. »
AUJOURD’HUI, L’ESPRIT CRITIQUE DU JUDSON DANCE THEATER SOUFFLE ENCORE SUR LES NOUVELLES GÉNÉRATIONS
De ces années glorieuses, extravagantes et libres, certains de ces chorégraphes sortiront armés pour attaquer leur propre parcours. Paxton approfondira le contact-improvisation, devenant la figure de ce mouvement « qui aurait pu porter son nom », assénait le chorégraphe Mark Tompkins en 2014 lors de la remise du Lion d’or de la Biennale de Venise. Trisha Brown commence à concevoir les Equipment Pieces (1968) sur les buildings de New York avant de réintégrer la boîte noire. Lucinda Childs, complice de Bob Wilson dès 1976, va huiler une mécanique de transe sur des musiques de Philip Glass. Loin, très loin de sa performance Carnation (1964) dans laquelle une femme se goinfrait d’éponges multicolores. « J’ai conservé du Judson la discipline et la rigueur, confie Childs. Le sens aussi de l’économie du mouvement. »
Aujourd’hui, l’esprit critique du Judson Dance Theater souffle encore sur les nouvelles générations. Cette « esthétique du refus », selon la formule de Sally Banes, a influencé les chorégraphes de la « non-danse », au milieu des années 1990, comme Jérôme Bel et Boris Charmatz qui brandirent certains des mêmes principes comme la remise en question de la virtuosité et du spectaculaire. En 2000, grâce à Mikhail Baryshnikov, on découvrait le spectacle Past Forward, projet multimédia monté par la star de la danse autour des avant-gardes américaines des années 1960. Dédié à ces « aventuriers de la forme et du contenu », selon sa formule, ce spectacle pédagogique compilait une quinzaine de séquences signées par sept chorégraphes. Régal et excitation de voir Chair Pillow (1969), d’Yvonne Rainer, qui réduisait sa vie au strict minimum. Flat (1964), de Steve Paxton, solo d’un homme porte-manteau, était interprété par Baryshnikov lui-même. Scénario réduit, ampleur gestuelle maxi, histoire en direct.
Histoire de ce courant
Le courant de la post-modern dance apparaît au début des années 1960 aux États-Unis, principalement à New York, et se prolonge jusqu’à la fin des années 1970. Le terme « post-modern » est sujet à de multiples définitions, parfois contradictoires ; dans l’histoire de la danse, il signifie ce qui vient après la « modern dance ». Sensibles au climat contestataire des années 1960, les danseurs post-modernes rejettent les principes fondateurs de la modern dance. Refusant également les codes de la danse classique, leur intérêt se concentre « sur les caractéristiques formelles de la danse » et « sur le mouvement à regarder en tant que tel ».
Les figures majeures de cette aventure sont Simone Forti (1935), Yvonne Rainer (1934), Steve Paxton (1939), Ruth Emerson, Trisha Brown (1936), David Gordon (1936), Deborah Hay (1941), Lucinda Childs (1940), Douglas Dunn (1942), Carolee Schneemann (1939). Ces artistes se caractérisent par une attitude simultanément critique et expérimentale. C’est la période de l’anti-art et de la contre-culture, celle de la remise en question des dispositifs mêmes de la création artistique, dans tous ses champs. C’est l’époque du mouvement Fluxus et des happenings (Claes Oldenburg, Robert Whitman, Allan Kaprow, Jim Dine), de la musique minimaliste (La Monte Young, Steve Reich, Phil Glass), des collectifs de théâtre comme le Living Theater ou l’Open Theater. Les artistes de ces diverses disciplines proposent une culture alternative échappant aux modes de fonctionnement dominants.
La judson church
LLa Judson Memorial Church est une église de New York et un centre important de promotion artistique depuis les années 1950. Fondée en 1890 par le pasteur Edward Judson sur la partie sud du Washington Square Park à proximité de la New York University dans le quartier de Greenwich Village à Manhattan, cette église progressiste est affiliée au mouvement baptiste et à l’Église unie du Christ. Cette église progressiste est consacrée à l’aide sociale, parfois impopulaire, pour les personnes défavorisées de New York. Elle fut notamment l’une des premières à New York à venir en aide aux drogués dans les années 1950, aux femmes qui souhaitaient avorter dans les années 1960, aux adolescents fugueurs et aux prostitués en difficulté dans les années 1970, et aux malades du sida dans les années 1980.
Au début des années 1950, sous l’impulsion du pasteur Bernard Scott, la Judson Church devient un lieu très actif de la création contemporaine, souvent radicale, en ouvrant ses portes aux recherches et performances de nombreux artistes de la scène new-yorkaise. Elle accueillit les premières expositions de Claes Oldenburg, Jim Dine, Robert Rauschenberg, Tom Wesselmann, Daniel Spoerri, et Red Grooms entre 1957 et 1959 avant qu’ils ne soient connus.
De 1960 à 1962, l’église fait la promotion des travaux chorégraphiques de danse post-moderne et de musique minimaliste autour d’un groupe constitué par Anna Halprin et composé des danseurs et chorégraphes Trisha Brown, Lucinda Childs, Steve Paxton, David Gordon, Merce Cunningham, Robert Ellis Dunn, et Yvonne Rainer ainsi que des compositeurs Terry Riley et La Monte Young qui aboutira à la fondation du Judson Dance Theater. En 1961, le Bread and Puppet Theatre y a présenté son premier spectacle : Danse des Morts1.
Le documentaire explore l'influence du Judson Dance Theater, mettant en lumière des performances expérimentales, des collaborations interdisciplinaires et l'impact durable sur l'art contemporain.